Nous, enseignant·e·s, avons été un de ces piliers qui ont permis aux sociétés de tenir pendant la pandémie de COVID-19. Souvent livrés à nous mêmes, et nous sommes bien placés en France pour le savoir, nous avons su nous réinventer en un temps record, et sur nos deniers propres, pour combler les atermoiements de l’administration et maintenir la continuité du service public d’éducation.
Aucune leçon n’a été tirée de la pandémie
Cependant, alors que la crise est désormais moins aiguë, l’IE le constate « Dans trop d’endroits, les applaudissements et les remerciements ont été remplacés par des coupes budgétaires dévastatrices dans l’éducation. » Là encore, nous le voyons chez nous, aucune leçon n’a été tirée de la pandémie puisque 1500 suppressions de postes dans l’éducation publique sont annoncées au budget 2023.
De plus, alors qu’il est désormais admis que les salaires des enseignant·e·s français·e·s sont indignes de la 7e puissance puissance mondiale, le Ministère de l’Éducation Nationale ne fait pas le choix d’une vraie revalorisation sans contrepartie, qui serait pourtant la seule solution de justice et de reconnaissance. Très satisfait de lui même, il n’accorde qu’une augmentation du point d’indice inférieure à l’inflation. Soyons clair, ce n’est pas une augmentation, c’est un petit parachute qui, après 12 ans de gel, est incapable de freiner la chute de pouvoir d’achat des enseignant·e·s. Pire, le ministre vient avec un pacte faustien vers des enseignants exsangues pour conditionner l’augmentation de salaire à de nouvelles missions. Nous avons beau être parmi les enseignants qui travaillons déjà le plus au sein de l’OCDE, cela ne fait que confirmer le peu d’estime que nous porte un Président pour qui nous « ne faisons pas assez d’efforts ».
Un manque de considération mondial pour un métier difficile
Dans son rapport mondial 2021 sur la condition du personnel enseignant, l’IE tirait la sonnette d’alarme : « la condition du personnel enseignant demeure préoccupante dans un grand nombre de pays et juridictions ». En effet, malgré l’importance de leur mission au service de la jeunesse « les enseignant·e·s savent parfaitement que posséder des qualifications ou des niveaux de formation identiques à ceux requis dans d’autres professions ne leur confère pas pour autant le même statut ».
Les causes de la faible attractivité du métier enseignant sont multiples mais les faibles rémunérations sont un des principaux facteurs. Partout dans le monde, les revendications de revalorisation salariale fleurissent. #PayUp (augmentez!), le mot d’ordre de la NEU (National Education Union, premier syndicat du Royaume-Uni) pourrait être repris par de nombreux collègues du monde entier. Il faut dire que la situation est y devenue tellement intenable que 25 % des enseignants démissionnent dans les trois premières années, ils sont 40 % en 10 ans.
La profession enseignante est particulièrement exposée aux risques psychosociaux et l’augmentation de la charge de travail est un autre élément qui participe à la dégradation de l’attractivité de la profession car elle met en péril l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. La multiplication des tâches demandées aux enseignants alourdit les journées de travail et il est inquiétant de constater les effets des avancées technologiques notamment en ce qui concerne le respect du droit à la déconnexion. En outre, en plus de l’intensification, il convient de rappeler que les enseignants français n’ont par exemple pas bénéficié de la loi sur les 35h et que leurs obligations de service devant élèves sont toujours identiques à celles des décrets de 1950. La dernière étude de la DEPP souligne que la moitié des enseignants français travaillent plus de 43 heures par semaine (soit deux heures de plus qu’en 2010). Le poids de la charge de travail et le stress ont des effets concrets sur le bien-être des enseignants et peuvent mener à la démission ou à l’épuisement professionnel (burn-out).
Enfin, les enseignant·e·s font face à une image médiatique régulièrement caricaturale, parfois bien aidée dans sa dégradation par des relais politiques. Les exemples sont nombreux mais on se rappelle entre autre les propos de Nicolas Sarkozy sur les enseignants « qui travaillent 6 mois par an », ceux de Sibeth Ndiaye qui pendant le confinement ne voulait pas envoyer les enseignants qui ne travaillent pas aller cueillir des fraises ou encore ceux du sénateur Claude Malhuret les appelant (sous les applaudissements de certains de ses collègues) « à déposer pour une fois un préavis de travail ».
La rentrée de la pénurie
Le manque d’investissement des gouvernements dans l’éducation ne peut conduire qu’à la dégradation de ce service public primordial. Le manque d’enseignant·e·s diplômé·e·s entraîne la nécessité de faire appel à des enseignant·e·s contractuel·le·s non qualifié·e·s. Or, il faut le rappeler même si c’est une évidence, enseigner est un métier qui s’apprend, cela ne s’improvise pas. Preuve que le mal est profond, pour cette rentrée 2022, rien que dans six pays (Allemagne, Hongrie, Pologne, Autriche, France, Italie) ce sont près de 120 000 enseignant·e·s qualifié·e·s qui manquent à l’appel. Face au manque de personnel, les effectifs par classe augmentent, des heures de cours sont supprimées et des dispositifs de soutien disparaissent. Ce sont donc les populations les plus pauvres et les élèves les plus en difficulté qui souffrent le plus de cette pénurie.
Le SNES-FSU peut se féliciter d’avoir réussi à montrer au grand public les vraies conditions de cette rentrée de la pénurie face à la méthode Coué ministérielle qui, bien qu’incapable de donner des chiffres, surjouait une rentrée « très convenable ».
Du constat à l’action
Mis bout à bout, ces éléments ne peuvent que favoriser une privatisation et une commercialisation rampante de l’éducation. Face à une école publique dégradée, les parents qui peuvent se le permettre font le choix de mettre leurs enfants dans des écoles privées ou de payer des cours de soutien privés. Aux Pays-Bas, le nombre d’entreprises qui s’occupe des cours de soutien est passé de 3396 en 2017 à 5462 en 2022, soit une augmentation de 61 % en 5 ans ! Pour de nombreuses organisations syndicales, dont le SNES-FSU, la mise en place de ce système à deux vitesses est inacceptable.
L’IE le disait dans son message du 5 octobre, les enseignant·e·s sont le cœur battant de l’éducation. Il est du devoir des pouvoirs publics de garantir leurs droits, de leur offrir de bonnes conditions de travail, de les impliquer dans les politiques éducatives et de faire confiance à leur expertise pédagogique. Au niveau européen, le Comité syndical européen de l’éducation (CSEE) réuni à Liège en juillet 2022 a publié un document d’orientation politique en 10 points pour renforcer le statut et l’attractivité du métier enseignant. L’augmentation salariale, un recrutement de qualité et une formation continue, le contrôle de la charge de travail, le dialogue social et le bien-être au travail sont quelques exemples de cette plateforme de revendications.
Parallèlement à ces revendications politiques, l’IE et le CSEE soutiennent les mobilisations. Au Royaume-Uni, les collègues sont le point de déclencher une grève, un phénomène rarissime chez eux. En France, la grève du 18 octobre a été l’expression la plus récente de cette revendication de plus grands investissements dans l’éducation publique, le SNES-FSU a reçu à l’occasion de cette journée le soutien de plusieurs organisations européennes.
Le combat pour l’attractivité de la profession enseignante n’est donc pas seulement français mais mondial. Le SNES-FSU, comme organisation majoritaire de la profession, se battra dans les instances et dans la rue pour l’augmentation des salaires sans contreparties et l’amélioration de nos conditions de travail. Les collègues peuvent compter sur notre détermination ainsi que sur celle de nos camarades du monde entier avec lesquels nous partageons ces revendications.
Sources :
Le rapport mondial 2021 sur la condition du personnel enseignant
Les enseignants sont le cœur battant de l’éducation
Étude OCDE sur les salaires enseignants
JACK Andrew, COCO Federica (2022, septembre 2). Wanted: tens of thousands of teachers to staff Europe’s schools.Récupéré sur Financial Times: https://www.ft.com/content/116d8c88-aa3f-426f-aeb8-c0a0325c43bb
Le document d’orientation politique du CSEE sur le renforcement du statut et de l’attrait de la profession enseignante
Vous trouverez ici des informations sur les actions de coopération avec les syndicats d’autres pays, les analyses et réflexions du SNES-FSU sur l’actualité internationale, des comptes-rendu d’instances internationales dans lesquelles siège le SNES-FSU. Des remarques, des questions ?
Contactez nous : internat@snes.edu