Manifestantes à Hamadan, sur la pancarte de droite: « nous revendiquons notre droit à nous rassembler et à nous structurer »

Une grave crise économique dont les fonctionnaires sont les victimes

Gravement affecté par la pandémie avec à ce jour 135 000 morts du covid, chiffre officiel probablement très sous-estimé, l’Iran est par ailleurs touché par une forte inflation qui s’élève à presque 50 % en une année. Encore s’agit-il d’un chiffre global, les économistes iraniens s’accordant à reconnaître que les prix des produits courants, largement importés en dehors du pétrole (le blé, la viande, le petit électro-ménager), ont connu une hausse encore plus forte. Les sanctions américaines n’expliquent pas tout. Et la conséquence de la hausse des prix, non suivie d’une réelle augmentation des salaires, est une baisse du pouvoir d’achat des plus pauvres et des classes moyennes. Selon certaines publications, le niveau de vie moyen aurait baissé de 25 % en une douzaine d’années. Pour Muhammad Habibi, porte-parole de l’association syndicale des instituteurs iraniens, qui a été longtemps emprisonné, « la situation économique est due avant tout à l’incompétence des dirigeants, qui s’est ajoutée à la corruption systématique ». Pour certains économistes, ce seraient 55 % de la population qui se trouverait à présent sous le seuil de pauvreté.

Malgré la politique de terreur que fait régner le pouvoir religieux ultra-conservateur du président Ebrahim Raïssi, malgré les arrestations et exécutions d’opposants, le mécontentement se transforme en crise sociale depuis quelques mois, la population n’hésitant plus à manifester, faire grève, ou soutenir des mouvements sociaux. Le pouvoir se sait menacé car sa base naturelle, le monde plutôt conservateur et pratiquant des campagnes, semble plus touchée par la perte de pouvoir d’achat, qui serait de presque 40 % pour les familles paysannes. Mais le pouvoir ne fait rien pour prendre en charge la lutte contre la pauvreté : le salaire minimum de 86 euros mensuels n’a pas été relevé depuis longtemps, le budget récemment voté par le majlis (assemblée élue) a même entériné la baisse des budgets sociaux au profit de l’augmentation des dépenses militaires. En réalité, le pouvoir compte beaucoup sur les associations caritatives islamiques pour continuer d’entretenir un réseau de familles modestes dépendantes. Il peut difficilement masquer le creusement des inégalités, car la crise enrichit aussi certains importateurs ou les officiers supérieurs de l’armée, à la manœuvre dans toutes sortes d’opération aussi tout aussi illégales que lucratives. Muhammad Habibi n’hésite pas à le dire : « une politique régionale agressive a entraîné des sanctions internationales qui affectent le quotidien des gens. Une petite couche de la population profite économiquement de la situation, alors que la majorité, notamment les ouvriers et les instituteurs, n’a même pas le minimum pour vivre ».

Un mouvement qui s’inscrit dans la durée

Dans ce contexte, le mouvement enseignant, qui était un peu en veilleuse depuis les arrestations massives de 2019, a repris. Le pays compte plus d’un million de travailleurs dans le secteur éducatif, dont plus de 500 000 enseignants. L’enseignement public est gratuit et ouvert aux filles autant qu’aux garçons, mais l’accès à l’université, qui se fait par concours (le «konkour » en farsi), nécessite de plus en plus des familles qu’elles rétribuent des répétiteurs particuliers ; le rôle des cours particuliers accentue dès lors les inégalités.

A la mi-décembre, alors que les discussions sur le budget national à l’Assemblée provoquaient de fortes critiques dans tout le pays et amorçait un mouvement social avec des grèves dans plusieurs secteurs, les enseignants du premier degré, bientôt suivis par ceux du second degré, se mettaient en grève pendant trois jours : le mouvement était suivi dans plus de 110 villes du pays. Mais le gouvernement ne donna aucun signe de dialogue et tenta une politique d’intimidation : arrestations, menaces sur les grévistes. On parla d’une centaine d’arrestations dans les jours qui avaient suivi la première grève.

Le 13 janvier, un nouveau mot d’ordre de grève et de manifestation fut très suivi : des manifestations avaient lieu à Téhéran, Qazvin, Qom, Kashan, Ispahan (centre), Machhad, Nishapur (nord-est), Kermanshah (ouest) ou encore à Chiraz, Kerman (sud) , Ahwaz, Shushtar (sud-ouest) et à Tabriz, Ardabil, Urmiah (nord), soit dans tout le pays. Les 29, 30 et 31 janvier, un nouvel appel à manifester réunissait des milliers de personnes dans les rues d’Alborz (ouest de Téhéran), Ispahan ou Chiraz. Une autre manifestation avait lieu devant le parlement à Téhéran. Le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI, groupement d’opposants en exil) évoquait même avec optimisme « une grève nationale qui a eu lieu dans une centaine de villes le samedi 29 janvier ». Selon Roger Lyons, président de l’association ADFI (Association in Defense of Freedom in Iran, basée à l’étranger, qui informe sur les mouvements sociaux en Iran et les atteintes aux droits de l’homme) « des manifestations ont eu lieu dans beaucoup de villes. Les forces de sécurité ont convoqué et arrêté des enseignants grévistes, ou ils leur ont envoyé des messages tentant de les intimider et de les dissuader d’aller manifester dans la rue ».

Campagne internationale pour la libération des enseignants emprisonnés

Des revendications soutenues par la population

Roger Lyons indique que « les slogans brandis dans la rue étaient : « libérez tous les enseignants emprisonnés », « nous avons entendu trop de promesses, mais pas vu la justice », « des revenus décents et la dignité sont nos droits inaliénables », « les enseignants sont debout contre la discrimination », « les enfants iraniens ont droit à une éducation gratuite ». Des slogans plus politiques ont aussi été entendus, tel « Raïssi, menteur ! », du nom du dirigeant ultra-conservateur élu président en 2021.

Des slogans parfois plus politiques (extrait d’une vidéo publiée par un site d’opposition à l’étranger)

Les revendications sont les mêmes de semaine en semaine : une revalorisation importante des salaires enseignants, la revalorisation et le versement des pensions aux enseignants retraités, la libération immédiate des enseignants emprisonnés pour fait de grève ou de manifestation. Un plan de reclassement des enseignants, voté par l’assemblée, n’a toujours pas été mis en œuvre. Les enseignants en grève l’estiment notoirement insuffisant. Ils veulent obtenir que les salaires du premier et du second degré équivalent à 80 % des salaires des professeurs des matières scientifiques du supérieur, qui sont les mieux payés. Aujourd’hui, un enseignant du second degré en fin de carrière gagne environ 250 euros et verse, s’il habite Téhéran, au moins 130 euros de loyer.

Mais manifester a un prix élevé dans la république islamique : entre 2014 et 2019, quatre dirigeants syndicaux ont été arrêtés et condamnés à mort. Trois ont été exécutés : Hadi Rashedi, professeur de chimie arabophone du sud-ouest du pays, Hashem Sha’baninejad son collègue professeur d’arabe et de littérature, et Farzad Kamangar, responsable syndicaliste enseignant du Kurdistan iranien.

Une structure quasi-syndicale, le Comité de coordination des enseignants, est aujourd’hui tolérée par le régime ; c’est de lui qu’ont émané les récents appels à la grève. Mais pour éviter toute infiltration du pouvoir ou toute menace, d’autres structures militantes, clandestines, ont été crées dans les quartiers des grandes villes : elles s’appuient sur l’aide discrète des associations de parents d’élèves. Il est très difficile d’estimer le nombre d’enseignants engagés, mais l’opposition hors du pays évoque « des dizaines de milliers » d’activistes. Même s’ils sont peut-être moins nombreux, il est certains que le mouvement a eu une grande visibilité et le soutien d’une bonne partie de l’opinion, qui reste attachée à un service public de qualité, aujourd’hui bien en péril. Des sections syndicales comme celles des travailleurs iraniens du pétrole, qui sortent d’une longue grève, ont apporté un soutien matériel aux enseignants. Le régime a récemment promis une augmentation pour les enseignants titulaires mais refuse d’embaucher des centaines de milliers de contractuels qui ne se voient proposer aucune augmentation. Le 20 février, d’autres manifestations enseignantes avaient lieu dans les rues de plusieurs villes.

Le SNES-FSU salue le combat courageux des enseignants iraniens et appelle à la libération des enseignants emprisonnés.

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