Depuis dix jours, les appels au secours de femmes afghanes – connues ou anonymes – se multiplient. Pour Aisha Khurram, une étudiante de 22 ans, représentante de la jeunesse afghane auprès des Nations unies, le retour des talibans est « un cauchemar pour les femmes qui ont fait des études, qui envisageaient un avenir meilleur pour elles-mêmes et les générations futures. » Fawzia Koofi déplore pour sa part que « l’histoire se répète si vite »… Au dire de la militante des droits des femmes et ancienne vice-présidente du Parlement, « en Afghanistan, les femmes constituent la population la plus menacée et la plus exposée ». Samira Hamidi, une militante des droits humains travaillant pour Amnesty International, disait dès le 20 août – soit cinq jours seulement après la prise de Kaboul – avoir « très peur de l’évolution de la situation dans les prochains mois ». Chékéba Hachemi, première Afghane à devenir diplomate, confirme quant à elle que « toutes les femmes sont susceptibles de se faire assassiner, enlever ou violer » et que « l’enlèvement des petites filles au-delà de dix ans est la plus grande panique des familles dans les villages ».

Des faits inquiétants

Preuve de leur obsession intégriste, quelques heures à peine après leur arrivée à Kaboul, les talibans s’échinaient déjà à effacer l’image des femmes dans l’espace public. Depuis l’ambassade France où elle a trouvé refuge, Sonia Ghezali, correspondante de TV5 Monde, a vu « des hommes se [… mettre] à arracher les images de femmes aux devantures des salons de beauté » qui avaient refleuri dans la capitale afghane après 2002 et l’effondrement du premier régime des mollahs. Certains Kabouliens avaient même devancé les désirs des nouveaux maîtres de l’Afghanistan. Des vidéos et des photos – dont une particulièrement, devenue virale sur les réseaux sociaux – montraient, avant même le 15 août, des hommes recouvrant de peinture des affiches publicitaires et des devantures de magasins où des corps féminins étaient exposés.

Le 19 août, la célèbre présentatrice du journal télévisé de RTA, Shabnam Dawran, s’est vu interdire l’accès à la chaîne publique pour laquelle elle travaille depuis six ans. Dans une vidéo en forme d’appel à l’aide, elle a déclarée : « Je suis allée à mon bureau, mais malheureusement on ne m’a pas laissée entrer, même si j’ai montré ma carte de bureau. Les employés masculins avec des cartes professionnelles ont été autorisés à entrer, mais on m’a dit que je ne pouvais pas continuer à exercer mes fonctions, car le système a changé ». Un des zélés censeurs, plus direct que ses acolytes, lui aurait lancé : « Tu es une femme, va t’asseoir chez toi ». Depuis, la journaliste affirme avoir reçu plusieurs menaces de mort : « Je me sens très mal. Je suis enfermée chez moi », a-t-elle déclaré récemment à des journalistes de France Télévision.

Ces faits spectaculaires ne doivent pas cacher la triste réalité d’ensemble. Ce sont par milliers que les femmes afghanes, sont assignées à résidence et chassées de leur travail de médecin, d’enseignante, mais aussi d’infirmière, de cuisinière et même de femmes de ménage…

Où sont les filles ?

Au dire d’une militante féministe de Kandahar, « à la campagne, les filles ne vont plus à l’école. Dans les villes […] aussi, les talibans ont fermé les portes des écoles aux filles ». À Kaboul, les établissements scolaires n’accueillent carrément aucun public, et ce jusqu’à nouvel ordre, au grand dam des enseignants comme des élèves totalement désemparés et sans perspective. « On ne sait pas ce qu’on va devenir. J’ai peur, tout le personnel de l’école a peur. On se dit qu’ils vont venir nous arrêter parce qu’on travaillait pour l’ex-gouvernement », a déclaré une directrice d’une école publique à Kaboul, qui semble exprimer là le désarroi de toute une profession.

La situation semble identique à Herat, la grande ville de l’ouest de l’Afghanistan prise trois jours avant Kaboul. Selon Yalda Hakim, la correspondante de la BBC sur place, depuis cette date, quand des femmes arrivent à l’Université, « on leur dit de rentrer chez elles ». Quant aux écoles, elles sont naturellement fermées.

La nouvelle donne qui prévaut sous la férule des mollahs rappelle de bien mauvais souvenirs à Malala Yousafzai qui avait 15 ans quand, en 2012, un taliban lui a tiré une balle dans la tête parce qu’elle défendait le droit des filles à l’éducation au Pakistan. Transportée au Royaume-Uni où elle vit toujours, la jeune femme miraculée a reçu le Prix Nobel de la paix en 2014, a signé le 17 août dernier une tribune dans le New York Times, dans laquelle elle déplore que « les petites et jeunes filles afghanes se retrouvent une fois de plus au même point que celui qui fut le [s]ien – dans le désespoir à l’idée de ne plus jamais être autorisées à revoir une salle de classe ou à avoir un livre sur soi ».

Double discours

Le 17 août, lors d’une conférence de presse, Zabihullah Mujahid, a déclaré que le port de la burqa ne sera pas obligatoire pour les femmes, et qu’« il existe différents types de voile ». Le porte-parole des talibans a par ailleurs fait savoir que le régime s’engageait « à laisser les femmes travailler dans le respect des principes de l’islam ». Selon Suhail Shaheen, un autre porte-parole qui s’est exprimé pour sa part via Tweeter, « le droit à l’éducation des filles sera protégé ».

Assadullah Akhond Baradar, un mollah de province, moins au fait des éléments de langage de l’heure que la nouvelle génération talibane, fait entendre un tout autre son de cloche, puisque sa récente adresse aux femmes à tout d’une menace à peine… voilée ! Il a en effet déclaré : « Vous serez en sécurité […]. Vous pouvez aller travailler […]. Mais si l’on vous voit avec les ongles des mains ou des pieds vernis, si l’on vous voit les lèvres maquillées, alors on sera en colère, on va tout couper et on va tout jeter ». Le message est clair.

Les positions « modérées » de ce second régime taliban, qui contrastent tant avec les diatribes barbares et obscurantistes de ses zélateurs les plus intransigeants sur le terrain, ne doivent pas nous tromper. Les hommes qui ont la mainmise sur le pays ont dûment négocié, ces derniers mois, à Doha, avec des Américain soucieux de sortir du « bourbier » afghan, mais aussi d’éviter toute recrudescence du terrorisme anti-occidental dans la région. Les talibans ont par ailleurs obtenu un blanc-seing de Pékin après avoir promis de ne pas soutenir la lutte des Ouïghours que le pouvoir chinois, obsédé par les résistances nationales à son emprise, classe parmi les variétés de « terrorisme » islamiste. Les talibans de nouvelle génération savent donc parfaitement manier la langue diplomatique et se présenter sous un jour respectable pour le bien de la cause.

Chékéba Hachemi, ex-diplomate devenu consultante spécialisée dans la promotion des femmes depuis sa rupture avec le président Karzaï en 2009, est convaincue qu’au fond, les talibans n’ont pas changé. Ils sont même selon elle, plus riches, plus puissants et surtout plus hargneux. Dès que les caméras des médias internationaux se seront détournées, « les femmes vont être emmurées vivantes ». Selon une autre militante féministe, par leurs prises de position « modérées », « les talibans essayent juste de soigner leur image vis-à-vis de la communauté internationale, mais la vérité est qu’ils ne laissent même pas sortir les femmes de chez elles si elles ne sont pas totalement couvertes. Comment pourraient-ils laisser les filles étudier ou travailler ? »

Des femmes et des hommes debout

S’il est certainement exagéré d’affirmer, comme on pu l’entendre sur France Info, que « de plus en plus nombreuses à refuser de se soumettre, elles manifestent avec le visage découvert et le poing levé face à l’obscurantisme », des femmes, mais aussi des hommes, se mobilisent contre l’obsession patriarcale et machiste des nouveaux dirigeants.

Une manifestation a ainsi au lieu, à Kaboul, le jeudi 19 août, jour anniversaire de l’indépendance afghane de 1919. Initié par un groupe de sept femmes, elle a fini par rassembler plus de 200 personnes, au cri de « Notre drapeau, notre identité », avant d’être violemment dispersée. Outre les vexations imposées aux femmes, la résistance populaire est aiguillée par la volonté affichée et systématique des talibans de remplacer le drapeau traditionnel de l’Afghanistan par leur propre bannière blanche, ce qui est vu par bon nombre d’Afghans comme une insulte faite à la nation toute entière. Une protestation similaire à celle de Kaboul a eu lieu le même jour à Assadabad, où au moins sept morts sont à déplorer, selon l’agence Reuters – sans que l’on sache s’ils ont été victimes de tirs ou d’une éventuelle bousculade. La veille, à Jalalabad, une manifestation de protestation visant à réinstaller le drapeau national en lieu et place de l’étendard taliban a été réprimé dans le sang par les sbires du nouveau régime. Bilan de la fusillade : trois morts et une dizaine de blessés

Quel courage que celui de ces femmes et de ces hommes débout ! Face à ce régime obscurantiste et à ses sabre-peuple, les Afghanes et les Afghans devront en faire provision pour résister à la barbarie et (re)conquérir leur liberté. Avec ses partenaires européens et au sein de l’Internationale de l’Éducation, le SNES-FSU les soutiendra par tous les moyens.

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