Des enjeux électoraux importants

Des élections municipales qui se solderaient par la victoire d’une coalition PC-France insoumise dans plus du tiers des communes de France, voilà à quoi l’on pourrait comparer les résultats du scrutin chilien. Mais si la droite semble bien désavouée par la population, la victoire de la gauche n’est pas toujours celle des partis politiques classiques.

Depuis le soulèvement d’octobre 2019, le peuple chilien attendait ces élections qui devaient conduire à la désignation d’une assemblée constituante paritaire. Le changement de constitution était l’une des grandes revendications du mouvement d’octobre : jusqu’à présent, la loi fondamentale chilienne, datant du régime de Pinochet, limite les réformes de l’État et entérine une gestion ultra-libérale du pays. En octobre 2020, plus de 78 % des Chiliens avaient approuvé un changement de constitution et l’élection, pour ce faire, d’une assemblée constituante.

La droite se présentait unie aux élections, dans un large front intitulé Chile vamos ! (« Allez le Chili ! ») qui allait de l’extrême-droite nostalgique de la dictature à la droite libérale, et dont le but était d’obtenir un tiers des sièges à l’assemblée constituante afin de former une minorité de blocage (la future constitution doit être approuvée par les 2/3 des constituants). Face à elle, une gauche désunie, avec un parti social-démocrate discrédité par les années de gouvernance Bachelet et une alliance de gauche entre le Frente Amplio (Front large) et le parti communiste.

Des résultats inattendus

Les résultats ont surpris et sont peu conformes aux prévisions des sondages : la droite ne parvient pas à constituer une minorité de blocage puisqu’elle ne remporte que 37 sièges sur 155 (23 % des voix), l’alliance de gauche en obtient 28 (18 % des voix) et le parti socialiste (social-démocrate) 15. Les grands vainqueurs sont les indépendants qui conquièrent 48 sièges, dont 24 sièges à la Lista del pueblo (liste du peuple), une liste qui se classait à gauche mais rejetait les partis traditionnels et regroupaient des représentants du mouvement social de 2019, des organisations féministes et des membres de la société civile. Certains candidats indépendants ont été désignés par les assemblées de quartier issues du mouvement social d’octobre 2019. La démocratie chrétienne, de centre-droit, est la grande perdante du scrutin, elle ne remporte que 2 sièges. Cependant d’autres listes « indépendantes », qui ont remporté des sièges, regroupent divers conservateurs ou même des complotistes.

En ce qui concerne les 345 municipios, le résultat est plus tranché en faveur de la gauche qui remporte 126 d’entre eux. Dans la capitale Santiago c’est une jeune militante féministe et communiste, Iraci Hassler qui est élue maire. A Valparaiso, deuxième ville du pays, Jorge Sharp, ancien membre du Frente Amplio et toujours engagé dans la gauche anti-libérale, est largement réélu. A Recoleta, banlieue populaire de Santiago, le communiste Daniel Jadue est lui aussi réélu, ce qui conforte sa candidature à l’élection présidentielle de novembre prochain. Le Frente Amplio remporte aussi les municipios de Nunoa, Viña del mar et Maipu. La droite ne conserve que 88 municipios, alors qu’elle en dirigeait presque 150 auparavant.

Le nouveau visage de la politique chilienne

Les élus à la Constituante et les nouveaux maires n’ont parfois pas le visage d’un politicien traditionnel : Francisca Linconao, la « machi »(chamane), une militante du peuple mapuche, remporte l’un des 17 sièges réservées aux peuples autochtones au sein de la Constituante. Âgée de 62 ans, elle s’est longuement battue pour faire reconnaître les droits fonciers et culturels de son peuple et a été accusée d’activités terroristes, ce qui l’a conduite plusieurs fois en prison. Toujours habillée d’habits traditionnels mapuches, elle s’est fait connaître dans les années 2000 par sa lutte contre la destruction des écosystèmes de sa région, induits par les coupes excessives de bois des entreprises forestières.

Matias Toledo, le fondateur de la coordination sociale shishigang à Puente Alto, et ancien dirigeant syndical étudiant, à 31 ans, est aussi un nouvel élu de la Constituante. Il se revendique de la société civile et du travail social de terrain. Sa coordination a mis en œuvre un projet de souveraineté alimentaire, pour permettre aux habitants de cultiver des jardins partagés. Il donnait en février dernier sa vision de la politique :« se salir les mains, aller sur le terrain et parler le langage du quotidien, comprendre que nous nous trouvons dans un nouveau cycle politique dans lequel les tracts, les appels téléphoniques aux électeurs avant le scrutin, les affiches des candidats passeront de mode ».

Celle que les Chiliens ont surnommé la tia Pikachu (la tia est un terme à la fois familier et amical utilisé au Chili et Pikachu est l’un des plus célèbres pokémons) est aussi élue à l’assemblée constituante. Cette conductrice de bus scolaire, Giovanna Grandon, avait défilé dans les manifestations populaires déguisée en Pikachu. Ayant parcouru depuis toutes les manifestations de la capitale avec son déguisement, son personnage est devenu viral sur les réseaux sociaux. Cette femme issue d’un milieu populaire était auparavant peu intéressée par la vie politique, mais elle s’est depuis l’automne 2019 beaucoup engagée dans le travail social au sein des communautés les plus défavorisés de Santiago et dénonce les grandes inégalités sociales : « actuellement le pauvre mourra pauvre et le riche mourra riche. Il n’y a aucune chance qu’un pauvre parvienne à l’université. Tout est profit. »

C’est aussi pourquoi Gabriel Osorio, professeur de droit constitutionnel, parle de « séisme politique », il ajoute que « la porte de la politique s’est ouverte aux mouvements sociaux, aux syndicats, aux associations », et qu’ainsi « quelque chose se termine et autre chose commence ». Pour l’historien Gabriel Salazar « c’est un mouvement politique qui a commencé avec le soulèvement social de 2019 et qui a été canalisé par l’exigence de changement de constitution, sans baron de la politique, sans parti, ouvert et sans le profil classique d’un mouvement politique. Cela a été un processus d’une profondeur et d’une ampleur jamais vue dans l’histoire du Chili.»

Et maintenant ?

Mais la victoire de la gauche est loin d’être totale. d’abord parce que nul ne peut prévoir les coalitions qui se feront à l’assemblée constituante : si les « indépendants » de gauche se joignent au Frente Amplio, aux communistes et aux socialistes, ils obtiendront la majorité qualifiée des 2/3… mais il n’y a aucune certitude dans ce domaine. D’autre part, la mauvaise fiabilité des sondages s’explique aussi par une abstention massive : plus de 57 % des Chiliens n’ont pas voté, et dans certaines communes populaires abstention frôle les 70%. Combattre le scepticisme d’une grande partie de la population sera l’un des enjeux des travaux de l’assemblée constituante et des campagnes électorales à venir.

Les résultats électoraux, pour encourageants qu’ils soient, relèvent aussi d’un certains « dégagisme » : certains représentants syndicaux connus dans tout le pays et candidats à la Constituante, n’ont pas été élus. Pour certains commentateurs, il est inédit que les grandes organisations de la société civile, qui avaient structuré les luttes avant le mouvement de 2019, assistent en spectateurs aux travaux de la Constituante.

Outre l’abolition des règles constitutionnelles ultra-libérales qui interdisent à l’État d’intervenir dans des domaines essentiels (distribution de l’eau, de l’électricité), l’assemblée constituante devra aussi statuer sur les pouvoirs des régions, des peuples autochtones, l’inclusion des minorités. Plus encore, elle devra inscrire dans la loi le droit à l’éducation, à la santé et au logement. Elle se donne 9 à 12 mois pour écrire la nouvelle constitution. Les élections législatives doivent se tenir en novembre, tout comme l’élection présidentielle. Le PS propose déjà une candidature unique PS-PC-FA, mais les divergences sont grandes entre les sociaux-démocrates et la gauche anti-libérale. Les électeurs si nombreux qui ont donné leurs voix aux « indépendants » feront-ils de même pour des élections plus classiques ? Les abstentionnistes de mai se rendront-ils aux urnes en novembre ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre.

Et pour l’éducation ?

Les enseignants chiliens sortent épuisés d’une année de pandémie : selon le Colegio de profesores, syndicat chilien de l’éducation, « la charge de travail des enseignants a considérablement augmenté. 57 % des enseignants interrogés, sur 2600 professeurs qui l’ont été dans tout le pays, présentent des signes de fatigue extrême, comparables au syndrome de burn-out ». A Algarrobo, une ville de la côte à l’image du pays, où voisinent résidences de luxe et quartiers défavorisés, les écoles publiques accueillent les plus pauvres. Leurs enseignants déclarent : « nous sommes dans des écoles au public défavorisé et nous pouvons témoigner que nos collègues font des efforts gigantesques pour aider les élèves qui en ont le plus besoin. Et bien que nous vivions cette réalité de terrain difficile, le ministère de l’éducation maintient des niveaux d’exigence comparables aux autres écoles, sans tenir compte des très grandes difficultés de nos élèves. La charge de travail à laquelle il nous contraint, dans cette pseudo-normalité de toutes les écoles, a créé une extrême fatigue des enseignants. »

Le contexte pandémique a aggravé la situation déjà très inégalitaire de l’éducation au Chili : «  le gouvernement nous oblige à pratiquer un enseignement hybride, c’est à dire à enseigner le même contenu en présentiel et de manière simultanée aux groupes qui sont en distanciel, sans tenir compte de l’équipement informatique des familles qui est souvent insuffisant ». La contestation syndicale à l’égard de cet enseignement hybride a été présentée par le gouvernement et les partis de droite comme la marque de la mauvaise volonté des enseignants « les commentaires sont venus de personnalités du gouvernement qui ont fait croire que les enseignants cherchaient des excuses pour ne pas travailler » dénoncent les enseignants.

Les enseignants espèrent que la Constituante introduira dans la loi le droit à une éducation publique de qualité. La part du privé payant étant aujourd’hui importante au Chili, une demande forte du syndicalisme enseignant est le soutien au secteur public qui selon Carlos Diaz Marchant, le président du syndicat, « est une revendication qui a gagné en vigueur avec le changement constitutionnel ». Ces dernières semaines, parallèlement au processus électoral, le Colegio de profesores a initié une série de consultations des enseignants en organisant des assemblées locales qui ont réfléchi à la surcharge de travail, aux conséquences de l’enseignement à distance mais aussi à l’élaboration d’une nouvelle éducation dans le pays. Le 28 mai, les représentants de ces assemblées locales se retrouveront pour une « assemblée nationale de l’enseignement » qui formalisera toutes les revendications.

Parmi les jeunes élus municipaux figurent aussi de grands noms des mobilisations étudiantes de 2011 qui demandaient alors une éducation publique, gratuite, laïque et de qualité. Ces étudiants s’inscrivaient dans la continuité du mouvement lycéen de 2006 en rébellion contre la privatisation de l’éducation. Tout laisse penser qu’ils n’oublieront pas les valeurs qu’ils ont défendues dans leur jeunesse.

La défaite de la droite n’est peut-être pas la victoire complète de la gauche mais elle est très largement porteuse d’espoir.

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