Un pays fragilisé par la pandémie et une gouvernance très conservatrice
La Colombie a durement subi la pandémie et affronte depuis quelques semaines une troisième vague. Le pays compte plus de 75 000 morts pour une population de 50 millions d’habitants. La troisième vague semble être la plus meurtrière avec actuellement une moyenne de 300 morts par jour et l’arrivée de nouvelles souches plus contagieuses, le variant amazonien en particulier.
Le surgissement de l’épidémie et sa durée ont provoqué la pire récession depuis une cinquantaine d’année : le PIB a chuté de presque 7 % en 2020 et le chômage a explosé, bien au-delà du chiffre « officiel » affiché de 17 % de la population active. En réalité la plupart des chômeurs ne sont pas enregistrés car leurs emplois d’avant la crise étaient informels et non déclarés. Durant le premier confinement, de mars à mai 2020, la population avait tenté de réagir en dénonçant cet appauvrissement brutal : les familles les plus en difficulté accrochaient alors à leur fenêtre un chiffon rouge pour indiquer qu’elles ne pouvaient même plus subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Depuis un an, la pauvreté se serait aggravée de 42 % dans tout le pays et l’intégration des quelque 1,8 millions de réfugiés vénézuéliens est rendue beaucoup plus difficile.
Face à cette situation inquiétante, le gouvernement très conservateur d’Ivan Duque n’a fait que proposer l’augmentation des impôts indirects qui touche plus gravement les pauvres et élargissement de l’assise des impôts directs qui affecterait beaucoup les classes moyennes. Il s’agissait, entre autres, d’augmenter considérablement la TVA sur les services de l’assainissement, de l’électricité, du gaz et sur les carburants. Ce projet de réforme fiscale particulièrement injuste socialement, car il ne touchait nullement aux avantages des plus fortunés, a été présenté par le très libéral ministre des finances Alberto Carrasquilla. C’est ce projet qui a mis le feu aux poudres et provoqué des manifestations dans tout le pays.
Les revendications populaires
Les manifestations ont commencé le 28 avril dans tout le pays. Elles ont été très importantes dans les grandes villes, à Bogota et Cali en particulier. Elles ont bien souvent dépassé le cadre de la contestation de la réforme fiscale pour se transformer en contestation plus générale du gouvernement et de sa politique conservatrice. Sous la pression, le ministre des finances a démissionné et le gouvernement a retiré son projet de réforme fiscale. Mais il entend le modifier et non y renoncer totalement, ce qui n’a fait que renforcer la mobilisation à partir du 3 mai. Du 3 au 5 mai les manifestations ont été violemment réprimées, le bilan semble à ce jour être de 24 morts et 846 blessés, auxquels s’ajoutent 89 disparus. La police a ouvert le feu sur des manifestants à Cali, selon de nombreux témoignages. Plus de 400 personnes ont été interpellées au cours de troubles qui ont éclaté au sein des manifestations sans qu’on puisse en identifier l’origine et qui posent question car toutes les organisations avaient appelé à un mouvement pacifique et exhorté les manifestants à éviter toute violence.
L’armée a été déployée à Cali dans la soirée du 3 mai. Le blocage de la ville a aussi des conséquences sur acheminement de l’oxygène dans les hôpitaux et provoque une pénurie de carburant. Selon Yonny Rojas, représentant d’une ONG défendant les droits humains à Cali : « Le déploiement de la force publique a été trop important, sans précédent, c’est terrifiant. Ils n’interviennent pas en négociant avec la communauté, mais en tirant contre les citoyens ».
Le bilan est tel que l’ONU, l’Union Européenne et les États-Unis ont réagi dès le 4 mai en appelant au calme et en dénonçant la répression des manifestations et « l’usage excessif de la force publique ». Cependant, Ivan Duque a continué de soutenir la police et l’armée. La presse conservatrice qui le soutient affirme que les violences viennent des manifestants et que la situation sanitaire exige l’interdiction des manifestations.
Le 5 mai, l’appel à la manifestation incluait aussi des revendications dans le domaine de la santé publique. Les manifestations du 5 mai se sont déroulées dans une atmosphère tendue, accentuée par les attaques nocturnes de commissariats, la veille, dans la ville de Bogota et les déclarations du président Duque qui assimile les manifestations au « terrorisme urbain » et envisage de recourir à l’état d’urgence dans tout le pays.
Les enseignants colombiens en lutte
Les enseignants colombiens ont été très mobilisés dès le 28 avril dans la lutte contre la réforme fiscale. La FECODE avait d’ailleurs soutenu le mouvement en déposant un préavis de grève de 24 heures pour cette première journée de manifestation. Pour les enseignants cette mobilisation était aussi l’occasion de mettre en avant des revendications professionnelles concernant le retour à l’enseignement présentiel et la vaccination. Le gouvernement colombien, sans concertation préalable et sans vraiment mettre en place un protocole sanitaire a décrété le retour à l’enseignement présentiel en alternance. Pour la FECODE, il s’agit d’« une mesure improvisée, expérimentale et irresponsable du ministère de l’éducation nationale ». Selon William Velandia, le président de la FECODE, « le gouvernement n’a fait aucune avancée dans le domaine du dialogue social ».
En ce qui concerne la vaccination et l’accès aux soins, la situation est loin d’être satisfaisante. La FECODE pointe du doigt la situation du système de santé publique « en situation critique, et aggravée par la pandémie », « qui a conduit à ce que les enseignants se voient obligés de payer eux-mêmes des soins, des médicaments, des rendez-vous médicaux prioritaires chez des spécialistes». Quant à la vaccination qui a commencé dans tout le pays depuis le 17 février 2021, elle était prévue pour se faire en cinq phases, correspondant à autant de publics. Les enseignants devenaient prioritaires durant la troisième phase qui a débuté depuis peu. Mais la FECODE souligne que « nombreuses ont été les failles et les irrégularités » durant le processus. « Les retards qui se sont accumulés dans l’application du plan national de vaccination font que l’immunisation de la communauté éducative est loin d’être atteinte » alors que la ministère de l’éducation a contraint 100 % des établissements du second degré à passer à l’alternance en mai, ce qui nécessite donc la présence des enseignants dans les établissements. La profession a déjà payé un lourd tribut à l’épidémie avec 147 enseignants recensés comme morts du coronavirus, d’après des statistiques nationales qui n’ont été effectuées que dans un quart des départements du pays. Le retour au présentiel, même en demi-jauge, a déjà conduit à une remontée des contaminations : la FECODE demande que le gouvernement « prenne en compte les faibles possibilités qu’offrent les établissements scolaires pour prévenir ou diminuer les risques d’infection, surtout dans les zones rurales ». Elle demande aussi que la vaccination soit rapidement élargie aux adolescents.
Le 2 mai, par un communiqué, la FECODE a appelé la communauté éducative à « descendre dans les rues de façon massive » et à poursuivre la mobilisation « contre la militarisation de l’État et sa politique répressive contre la population ». Elle a dénoncé « la violation des droits humains » et déploré « des victimes parmi lesquelles on compte des femmes, des enfants, des dirigeants syndicaux et activistes de la société civile ou des communautés indigènes, des enseignants ». Le communiqué s’achevait ainsi : « le moment est venu d’écouter les revendications du peuple qui n’est pas une multitude anonyme de serviteurs ».
Si le président Duque en venait à décréter l’état d’urgence dans tout le pays ou dans ses plus grandes villes, mesure prévue par la Constitution, cela signifierait la fin de la liberté de circulation et de manifestation, l’interdiction de la grève dans le secteur public, la censure de la radio et de la télévision et la possibilité d’arrestations préventives. Autant dire la fin de toute vie démocratique et le risque d’une guerre civile.
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