Une vraie « priorité »

Célébrant le rôle de l’éducation publique dans la montée en puissance des États-Unis au siècle dernier, le président américain a annoncé vouloir « ajouter au moins quatre années gratuites » aux douze actuelles, jugées maintenant « insuffisantes » pour affronter les enjeux du monde contemporain.

La gratuité scolaire serait assurée aux enfants américains dès 3 ans (contre 5 actuellement). À l’autre bout de la chaîne, le plan de l’administration démocrate prévoit le financement des deux années d’études pour tous les étudiants des Community Colleges. Ces établissement supérieurs autrement moins bien dotées que leurs homologues de l’Ivy League – censées former l’élite et imposant des frais de scolarité astronomiques – accueillent un public populaire, souvent issu des minorités, et souffrent, malgré leurs résultats honorables, d’une image d’université « de seconde zone ». Ils ont pourtant été qualifiés en 2010 de « héros méconnus de l’enseignement supérieur » par Barack Obama. Quant au chercheur Richard Alfred, de l’Université du Michigan, il pointe à juste titre leur « incroyable rapport qualité-prix ».

Cette avancée de la gratuité scolaire dans la patrie du néolibéralisme a naturellement un coût. Sur les 1 800 milliards de dollars du « Projet pour les familles américaines » (1 000 d’investissement et 800 de crédits d’impôt), 110 financeront la gratuité des deux premières années dans les Community Colleges, 80 abonderont le fonds des bourses Pell que touchent actuellement sept millions d’étudiants, 62 iront à la réussite étudiante et 46 seront réservés aux établissements scolarisant en priorité les minorités. Une enveloppe de 9 milliards de dollars est également prévue pour « l’équipement, la formation et la diversification » des enseignants de lycée.

Le sens d’un virage

C’est peu de dire que l’ultra-centriste Biden a surpris son monde en annonçant ces mesures sonnantes et trébuchantes… qui relativisent pour le moins les discours creux de certains sur la « priorité à l’éducation » ! Le montant sans précédent de ce nouveau plan d’investissement s’explique pourtant plutôt aisément si l’on prend le recul nécessaire.

La lutte frontale contre l’endettement étudiant était en effet une des conditions du ralliement de Bernie Sanders à la candidature Biden, qui s’est opéré il y a un an, au plus fort de la première vague épidémique. « L’effet Sanders » a percuté une lame de fond encore plus profonde de la société américaine qu’est la prise en compte du sort des minorités – et qu’incarne notamment le mouvement Black Lives Matter –, puisque le volet étudiant du Plan Biden les concerne tout particulièrement. Cette soif d’égalité qu’expriment de plus en plus d’Américains, notamment dans les rangs de la jeunesse, ne peut pas être balayée d’un revers de manche présidentielle – surtout après quatre ans de Trump.

Le second élément qui explique le virage « rooseveltien » de Biden est sans nul doute la prise de conscience en cours, au sommet de la nouvelle administration, des effets socio-économiques dévastateurs de la crise sanitaire à moyen terme. Le financement à hauteur de 225 milliards de dollars des frais de garde des jeunes enfants pour les ménages modestes indique la volonté affichée de la nouvelle administration de lutter contre leur précarisation accélérée – notamment pour ce qui est des femmes célibataires à faibles revenus – depuis l’irruption de la pandémie.

Enfin, les difficultés commencent !

Le jour même des annonces de Joe Biden, l’analyste et essayiste Kevin Carey concluait son article du New York Times avec ces mots: « Facile à dire, mais compliqué à mettre en place ». Les discussions à la Chambre des représentants et au Sénat – où Bernie Sanders aura à cœur de faire passer son projet de loi – risquent d’être vives.

Les difficultés commencent donc outre-atlantique, pour les partisans d’une éducation publique et gratuite, puisque la structuration d’un système scolaire largement tributaire des États et des collectivités locales pose d’épineux problèmes de financement et d’égalité territoriale, dès lors que l’État fédéral y intervient directement et massivement, comme il s’apprête à le faire. Mais nul doute que ce plan d’investissement sans précédent résonne, dans le milieu enseignant états-unien, comme une invitation à la lutte. Gageons que c’est également vrai de l’autre côté de l’océan !


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