Une situation politique très inquiétante
Le président Jovenel Moïse, élu fin 2016, devait légalement quitter le pouvoir le 7 février dernier. Cet ancien chef d’entreprise, que sa proximité avec l’ancien président Michel Martelly a sans doute enrichi par des moyens peu légaux, est soupçonné de blanchiment d’argent. Il a par ailleurs, depuis son accession au pouvoir, poursuivi une politique très libérale bien peu axée sur les besoins de la population en matière de santé et d’éducation. Ses liens avec les gangs mafieux ont été dénoncés par l’opposition et, selon Evelyne Trouillot, écrivaine haïtienne, « Jovenel Moïse affichait déjà des tendances dictatoriales avant le 7 février dernier » (Le Monde du 16 mars 2021). Depuis un an il gouverne par décrets, au mépris du pouvoir du parlement. En effet, depuis janvier 2020, le mandat des députés et de la majorité des sénateurs a pris fin car ceux-ci ont refusé d’approuver la nouvelle loi électorale, ce qui ne permet pas de procéder à de nouvelles élections. Le président s’est donc saisi de cette situation pour gouverner seul, sans aucun contrôle du pouvoir législatif. En novembre 2020 Jovenel Moïse a réduit les pouvoirs de la Cour des comptes coupable… d’enquêter sur des affaires de corruption… auxquelles il était mêlé.
Le 7 février 2021, alors que son mandat de cinq ans devait légalement prendre fin, le président faisait procéder à l’arrestation de 23 hauts fonctionnaires par la garde présidentielle, soupçonnés de « tentative de coup d’État » et de « tentative d’assassinat » sur sa personne. Arrêtées au beau milieu de la nuit, conduits en prison en pyjama, ces hommes et femmes, dont le juge de la Cour de cassation Yveckel Dabrésil, ou l’inspectrice générale de la police nationale Marie-Louise Gautier, étaient connus pour leur opposition à la poursuite illégale du mandat présidentiel. Peu de temps après, Jovenel Moïse faisait mettre à la retraite trois juges de la Cour de cassation, dont Yveckel Dabrésil, violant en cela la Constitution qui établit que ces juges sont inamovibles.
Magalie Georges, secrétaire générale de la Confédération nationale des éducatrices et éducateurs d’Haïti (CNEH), le dit sans ambages : « la dictature s’installe en Haïti », elle rappelle que « les attaques contre les syndicats ont été la première étape » de ce processus « dès 2018 ».
Des quartiers populaires vivant sous la menace des gangs
Ceux que l’on nomme le « G9 », à savoir une sorte d’organisation oligopolistique des gangs de Port-aux-Princes et des principales villes du pays, terrorisent la population par la violence, les enlèvements et demandes de rançon. Dans la capitale, les quartiers pauvres de Cité Soleil et Village de Dieu sont sous la coupe réglée de ces bandes, liées au pouvoir qui leur ménage toute impunité. Magalie Georges explique que « les chefs de gangs sont très proches du palais présidentiel et sont alimentés en armes et en argent par le pouvoir ».
La menace d’être kidnappé plane et de nombreux syndicalistes ou opposants au régime sont constamment en danger. Un responsable du syndicat des travailleurs du secteur public de l’électricité a été récemment chassé de son local syndical par des milices armées proches du pouvoir.
Le 25 février dernier, sans doute avec la complicité de gardiens qui étaient par ailleurs en nombre très insuffisant, plus de quatre cents détenus se sont échappés d’un centre pénitentiaire de la banlieue de la capitale. Au moins 25 personnes sont mortes au cours de l’évasion. Seuls moins d’une centaine de détenus ont été arrêtés depuis par la police, plus de trois cents seraient donc « en cavale » et ont sans doute pour certains rejoint leur gang d’origine.
Le 12 mars, une opération de police menée dans la capitale contre les gangs a été un échec total, menant à la mort de quatre policiers.
Ce n’est pas la déclaration de l’état d’urgence dans trois quartiers de Port-aux-Princes par le pouvoir le 18 mars dernier, officiellement « pour restaurer l’autorité de l’État » et lutter contre les gangs, qui rassure la population, d’autant plus que le gouvernement s’arroge ainsi le droit de restreindre la circulation et les moyens de communication.
La menace de déscolarisation
La déscolarisation d’une partie de la jeunesse haïtienne avait déjà été dénoncée en 2019 par un regroupement d’ONG, Solidarités internationales, qui affirmait que : « deux millions d’enfants ne sont pas scolarisés depuis la rentrée ». Or, durant l’année 2020 les revenus des familles ont encore chuté et la dévaluation de la monnaie nationale a conduit au renchérissement des produits importés dont le riz, base de l’alimentation haïtienne. Beaucoup de familles ne peuvent plus payer les frais d’écolage et doivent avoir recours au travail des enfants.
Depuis le développement de l’insécurité dans les quartiers les plus pauvres, les écoles sont fermées et parfois« les enfants n’ont plus la possibilité d’être scolarisés depuis 2018 » constate Magalie Georges. Il en va de même dans certaines zones plus rurales, comme Petite Rivière où « les écoles sont fermées et les paysans ne peuvent même plus aller dans leurs champs » tant le brigandage est important.
Les écoles restant ouvertes sont dans un état de délabrement inquiétant : Magalie Georges le dénonce : « beaucoup d’argent est alloué à l’achat de matériel scolaire mais depuis 4 ans les écoles n’ont rien reçu dans ce domaine ». Entre les donateurs internationaux et la réalité du terrain se dresse le mur de l’opacité et de la corruption.
L’absence de réactions internationales
Les syndicats haïtiens dénoncent « en un mot un gouvernement qui utilise les gangs comme forme de gouvernance » et qui entend « faire taire la population sur la réalité de la corruption ». Mais ils disent aussi que « la population haïtienne comprend mal le silence de la communauté internationale » et affirment que « la communauté francophone a son mot à dire ». Ils font ainsi référence à la déclaration de Bamako de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) du 3 novembre 2000, qui proclamait l’attachement de tous les États signataires, dont Haïti, au principe de l’Etat de droit « qui implique la soumission de l’ensemble des institutions à la loi, la séparation des pouvoirs » et affirmait que « la démocratie est incompatible avec toute modification substantielle du régime électoral introduite de façon arbitraire ou subreptice ».
Les Haïtiens résistent et manifestent régulièrement à Port-aux-Princes comme dans tout le pays, au risque de leur vie. Les 14, 15 et 16 février derniers, de très grandes manifestations ont montré par le nombre considérable de participants que le peuple haïtien disait « non à la dictature » (« nou pap tounen nan diktati », pas de retour à la dictature en créole) et organisait la résistance. Les manifestations sont quasiment quotidiennes et le 28 février, à nouveau, de nombreux cortèges de manifestants ont défilé à travers la capitale comme dans plusieurs villes de province pour s’opposer au maintien au pouvoir de Jovenel Moïse.
Mais le régime continue d’avoir le soutien plus ou moins discret du Canada, des États-Unis et de la France, même si ce soutien est très contesté au Canada par les ONG et les syndicats qui appellent Justin Trudeau à dénoncer publiquement les atteintes à la démocratie en Haïti.
Vous trouverez ici des informations sur les actions de coopération avec les syndicats d’autres pays, les analyses et réflexions du SNES-FSU sur l’actualité internationale, des comptes-rendu d’instances internationales dans lesquelles siège le SNES-FSU. Des remarques, des questions ?
Contactez nous : internat@snes.edu