Des militants dans le viseur du gouvernement et des gangs
Antoinette Duclaire et Diego Charles étaient des activistes connus de la scène politique et sociale haïtienne et se trouvaient sous le coup de menaces depuis plusieurs mois.
Antoinette Duclaire était membre du mouvement MachePouLavi (« Marche pour la vie »), militante féministe et membre du parti d’opposition Matris Liberasyion (« Matrice Libération »). Sociologue de formation, elle militait auprès des femmes haïtiennes pour qu’elles s’engagent contre la corruption et pour la défense de leurs droits. Son mouvement politique lui rend hommage en indiquant qu’elle « se battait pour une société juste et égalitaire » et rêvait d’un « pays sans corruption, sans criminalité, sans inégalité, sans violation des droits de la personne », « ce qui lui a coûté la vie ». Elle avait 33 ans.
Diego Charles était un journaliste travaillant pour Radio Vision 2000 et le media en ligne Gazette Haïti. Ce sont ses collègues et amis qui ont dû annoncer sa mort à l’antenne de la radio mercredi 30 juin. Il avait lui aussi 33 ans.
Les corps sans vie de ces deux militants ont été découverts le 30 juin au matin dans le quartier de Delmas après une fusillade nocturne. Le journaliste a été abattu sur le trottoir et la militante féministe au volant de sa voiture. Treize autres victimes, des passants sans lien avec les activistes ont été tués, parmi eux le frère d’une chanteuse célèbre.
Un assassinat programmé ?
Ils ont été assassiné au cours d’un raid qui constituait peut-être des représailles à l’assassinat d’un syndicaliste policier, porte-parole du SPHN-17, Guerby Geffrard. Le gouvernement haïtien a prétendu par la voix du premier ministre que le raid meurtrier était le fait d’un « groupe terroriste », visant une émanation du syndicat policier. Selon Marie-Rosy Auguste Ducena, membre du Réseau national de défense des droits humains, : « Venir aussi facilement dire “nous savons que le double assassinat de Diego Charles et Antoinette Duclaire vient de ce syndicat”, nous pensons que c’est agir avec beaucoup de précipitation et surtout beaucoup de légèreté ». Ralph François, militant pour la démocratie et opposant au gouvernement haïtien l’affirme : «Toutes les autres personnes qui ont été tués autour de ces activistes bien connus faisaient partie d’un plan pour couvrir la cible réelle de l’opération, qui était bien d’assassiner ces activistes ».
L’assassinat de syndicalistes, de militants et de journalistes n’est hélas pas une nouveauté en Haïti. Plusieurs d’entre eux ont payé de leur vie leur engagement au cours de ces vingt dernières années. Reporter sans frontières considère le pays comme l’un des plus dangereux pour l’exercice du métier de journaliste et l’a classé au 87ème rang pour la liberté d’expression en 2021, alors que le pays se classait encore au 62ème rang en 2019. Trois journalistes haïtiens avaient été assassinés depuis 2018, Diego Charles est le quatrième.
Les gangs contrôlent des quartiers entiers de la capitale et la police, corrompue et souvent leur alliée, ne fait rien pour rétablir la sécurité dans certaines zones de la capitale devenus très dangereuses. Les gangs tuent et pratiquent des enlèvements impunément. En moins de 6 jours, du 25 au 30 juin, la fondation Jeklere, ONG de défense des droits humains en Haïti, comptait plus de 60 assassinats, dans le bidonville de Cité Soleil, dans le quartier Delmas et à Pétion-Ville.
Un régime corrompu, dictatorial et néanmoins soutenu par les démocraties occidentales
Le gouvernement de Jovenel Moïse ne souhaite pas mettre fin à une insécurité qui lui profite. On le soupçonne même d’être en lien direct avec les gangs. Jovenel Moïse a confisqué le pouvoir depuis plusieurs mois et gouverne par décret, refusant de terminer son mandat et de se soumettre en temps voulu à une nouvelle élection. Il a réformé la constitution à son profit, sans que cela ne suscite de véritables protestations de la part des ses alliés occidentaux. Les États-Unis ont apporté leur soutien au président haïtien et l’arrivée au pouvoir de Joe Biden semble n’y avoir rien changé, malgré la récente démarche de membres démocrates du Congrès demandant au président américain de modifier ses positions à l’égard du régime haïtien.
L’Internationale de l’Éducation a lancé une campagne de soutien aux syndicalistes haïtiens et appelé tous ses membres à écrire à Jovenel Moïse pour demander le rétablissement des droits démocratiques et le retour de la sécurité sur tout le territoire. De très nombreux syndicats de l’éducation de par le monde ont aussi demandé au président haïtien que soient rétablis sur leur poste Magalie Georges (CNEH) et Georges Wilbert Franck (UNNOEH), deux dirigeants syndicaux de l’éducation qui ont été victimes de mutations-sanctions dans des régions éloignées de la capitale. Le Comité syndical francophone (CSFEF) a pour sa part écrit en mai dernier au ministre des affaires étrangères français, sollicitant une audience à ce sujet.
Sous la menace du cyclone Elsa en ce 3 juillet, Haïti se prépare au pire, la route principale du pays, entre la capitale et le sud, étant aux mains des gangs, ce qui pourrait empêcher l’acheminement des secours et du ravitaillement s’ils étaient nécessaires.
Mise à jour
Dans la nuit du 6 au 7 juillet, le président Jovenel Moïse a été assassiné dans sa résidence privée par une bande armée. Alors qu’un nouveau ministre, Ariel Henry, censé former un gouvernement d’ouverture venait d’être nommé, c’est le premier ministre par intérim Claude Joseph, qui a annoncé la mort de Jovenel Moïse et décrété l’état de siège, il semble avoir repris les rênes du pouvoir. Nous sommes en contact avec nos camarades haïtiens qui subissent une crise politique d’une extrême gravité.
Vous trouverez ici des informations sur les actions de coopération avec les syndicats d’autres pays, les analyses et réflexions du SNES-FSU sur l’actualité internationale, des comptes-rendu d’instances internationales dans lesquelles siège le SNES-FSU. Des remarques, des questions ?
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