Un régime dictatorial
Le SNES-FSU a entrepris une coopération syndicale avec le SET (Syndicat des Enseignants de Djibouti) depuis quelques années. L’un des anciens responsables du SET, Omar Ewado, enseignant lui-même, est aussi responsable de la Ligue Djiboutienne des Droits de l’Homme (LDDH) dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle a fort à faire dans ce pays qui n’est pas démocratique.
Le président Ismaïl Omar Guelleh est en effet au pouvoir depuis 22 ans et n’a jamais accordé de réelles libertés : la presse est muselée, la corruption est omniprésente et le Syndicat des enseignants n’a même jamais obtenu d’enregistrement légal, sous prétexte de difficultés administratives. En avril prochain, des élections présidentielles doivent avoir lieu et rendent le pouvoir plus nerveux et répressif qu’il ne l’a été depuis longtemps. Le président Guelleh brigue un cinquième mandat, ayant fait modifier en 2011 la constitution qui n’autorisait alors que deux mandats de 6 ans. L’opposition, composée de quelques partis politiques autorisés et d’autres illégaux, a renoncé à présenter un candidat unique contre le président sortant, estimant que les conditions ne sont pas réunies pour des élections transparentes. Il faut dire que la commission électorale chargée de veiller sur le bon déroulement des élections est composée principalement de…membres du gouvernement… L’opposition considère dès lors ces élections comme une mascarade. Le pays n’a connu que deux présidents depuis son indépendance en 1977, le neveu succédant en 1999 à l’oncle…
Une vague répressive
Les régions nord et ouest du pays, peuplées d’Afars, longtemps soupçonnés de contester un pouvoir qu’Ismaïl Omar Guelleh a mis entre les mains quasi exclusives d’un clan issa ( les Issas étant une ethnie somalie du sud du pays), sont l’objet depuis quelques semaines d’une « reconquête » brutale de la part du pouvoir.
Ces zones n’avaient jamais échappé réellement au contrôle de l’Etat, mais la présence sporadique d’une rébellion armée, le FRUD, qui utilise l’Éthiopie comme base de repli, est considérée par le régime comme une insulte à sa souveraineté. Ainsi, de nombreuses arrestations ont eu lieu, en réponse à l’attaque du FRUD contre le camp militaire et la brigade de gendarmerie de Tadjourah. Les personnes arrêtées n’ont nullement participé à ces attaques mais se voient reprocher leurs liens de parenté avec certains membres du FRUD.
A Ali Sabieh, au sud-ouest, et à proximité de la frontière éthiopienne, la police a tiré sur la foule qui manifestait et aurait gravement blessé un civil. Ces arrestations et violences ont été dénoncées par la LDDH le 28 janvier. Le 3 février la LDDH signalait à nouveau l’arrestation de quatre civils à Tadjourah, dont l’âge (entre 60 et 80 ans) et le lien de parenté avec des combattants du FRUD laissent penser qu’il s’agit de véritables otages et que les charges qui pèsent contre eux sont inexistantes.
Le 6 février la LDDH signalait des arrestations dans la région de Mabla et rapportait que des civils étaient détenus dans des camps militaires. Selon la LDDH : « tous les jeunes et même des personnes âgées subissent des traitements inhumains et dégradants ».
Ces arrestations ont été précédées par d’autres détentions abusives à Djibouti, capitale du pays, dès le 15 janvier dernier : alors que les partis d’opposition organisaient des manifestations pacifistes contre le 5ème mandat du président Guelleh, deux membres du parti d’opposition RADDE avaient été séquestrés par les services de sécurité.
Un pouvoir aux aguets
La vague répressive est vraisemblablement suscitée par la crainte du pouvoir de voir les élections présidentielles entachées par la résurgence du FRUD comme force militaire. Omar Ewado, de la LDDH, indique que « selon les informations qui circulent, le FRUD est assez fort et pourrait perturber les élections présidentielles. A l’approche de ces élections, le pouvoir est fébrile. Les accrochages se multiplient avec le FRUD et les forces gouvernementales mènent des ratissages et se rabattent sur les civils ».
De plus, si Djibouti s’est émancipé depuis longtemps de la tutelle française et a aujourd’hui pour principal partenaire économique et militaire la Chine, le gouvernement entend garder de bonnes relations avec tous les partenaires qui bénéficient d’une base militaire dans le pays. Ces partenaires sont nombreux : Français, Japonais, Italiens, Américains, Chinois disposent de bases aériennes… et le pays a toujours su monnayer sa position géographique exceptionnelle, au débouché de la mer Rouge, c’est à dire sur l’une des principales routes mondiales du pétrole. Or, la visite du président Guelleh en France les 11 et 12 février a justement pour but d’obtenir de Paris un soutien discret, et ce malgré les atteintes répétées aux droits de l’homme. Selon Omar Ewado, le président Guelleh vient quémander « un aval » de Paris « pour son cinquième mandat », ce que beaucoup de Djiboutiens, mécontents du régime « accepteront mal ». Mais il n’est pas certain que l’opinion publique djiboutienne soit le premier souci de l’Élysée… car le renouvellement de l’accord militaire franco-djiboutien et la rapprochement diplomatique après deux décennies tendues entre l’ancienne puissance coloniale et Djibouti importent plus aux yeux de Paris. Pour le pouvoir djiboutien, le retour à des relations de grande proximité avec la France permettrait de rééquilibrer une alliance trop étroite avec la Chine, qui a entraîné le pays dans un endettement excessif et une réelle dépendance.
Les militants des droits de l’homme ne doivent pas faire les frais de ces jeux diplomatiques.
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