Le Mali a vécu à la mi-août un coup d’État salué par une bonne partie de sa population, même s’il a été condamné par les grandes puissances mondiales. Dans le contexte très particulier de la présence de l’armée française dans le pays depuis 2013, une intervention qui avait largement soutenu le régime d’Ibrahim Boubacar Keita aujourd’hui renversé, nos partenaires de coopération sur place ont plutôt bien accueilli l’arrivée au pouvoir des militaires qui ont mis fin à un régime très impopulaire et accusé d’immobilisme et de corruption.
Alors que la situation politique semble stabilisée pour un temps avec l’engagement des militaires de la junte à ne pas garder le pouvoir au-delà de 18 mois, une bonne partie du pays reste sous le contrôle des mouvements djihadistes ou séparatistes, qui ne reconnaissent pas le nouveau pouvoir. Dans le nord et l’est du pays, beaucoup d’écoles restent fermées. La pandémie frappe peut-être ici moins qu’en Europe, mais elle est présente. A la mi-septembre, c’était environ 3000 cas de covid qui avaient été détectés et 128 décès étaient enregistrés. Aujourd’hui, ce sont 5800 cas et 189 décès qui sont signalés. Mais les conditions matérielles du pays laissent penser qu’il s’agit là de chiffres sous-évalués.
Or, voulant sans doute donner une impression de retour à la normale, le ministère de l’Éducation et de l’enseignement supérieur, par l’entremise de son Secrétaire Général, avait demandé en octobre la reprise rapide de toutes les activités pédagogiques, de l’école primaire à l’université. Cela n’était pas sans poser de problèmes : absence de masques, de kits de désinfection, de savon ou de gel hydro-alcoolique… sans parler des mesures de distanciation physique impossible à appliquer dans des locaux exigus pour des effectifs pléthoriques (plus de 45 élèves par classe).
Le SNEC, principal syndicat de l’enseignement et notre partenaire de coopération sur place, avait alors publiquement protesté contre cette rentrée non-anticipée «de nature à exposer les élèves, les enseignants ainsi que les travailleurs de l’administration scolaire au COVID-19 » .
Aujourd’hui, le SNEC nous alerte de la dégradation du dialogue social. Des négociations avaient été ouvertes mais interrompues en novembre par 48h de grève, puis avaient repris. Elles sont à nouveau rompues et l’UNTM, fédération du secteur public à laquelle est rattaché le SNEC, vient d’appeler à un second mouvement de grève générale sur tout le territoire de 5 jours, du 14 au 18 décembre. Cette « semaine morte » dans les administrations est destinée à contraindre le gouvernement à, enfin, régler la situation des travailleurs « compressés » dans les années 80 (c’est à dire intégrés dans le public après les nationalisations d’entreprises), à réaliser l’harmonisation des grilles salariales des agents de l’État, l’octroi de primes et d’indemnités (particulièrement pour ceux qui exercent dans des zones de grande insécurité ou qui ont dû quitter leur poste pour cette raison).
Le premier ministre Moctar Ouane a annoncé la tenue d’une conférence sociale pour 2021 mais la grande majorité des fonctionnaires craint que cette échéance lointaine ne soit une façon pour le gouvernement de « jouer la montre » : « nous voulons être dans une position de pression, pour que les discussions ne durent pas encore des mois » déclare Yacouba Katilé, le Secrétaire général de l’UNTM. Il ajoute, en réponse à ses détracteurs qui l’accusent d’arrières pensées politiques, que « transition ou pas, il n’a pas de bon moment pour défendre les revendications« . Moustapha Guitteye, secrétaire général du SNEC, explique que « le mouvement de novembre avait déjà paralysé le pays » et qu’il est nécessaire de prendre enfin en compte les attentes légitimes des enseignants et de tous les travailleurs de la fonction publique.
Mise à jour du 14 décembre:
En ce premier jour de grève, nos camarades maliens nous indiquent que « la grève est très suivie, à 95% » et nous envoient des photographies qui parlent d’elles-mêmes: banques nationales et sociétés de crédit d’état fermées, lycées et écoles fermées, tout le secteur public semble bien paralysé.
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