Une première vague de faible importance qui a fait sous-estimer la seconde
Madagascar avait moins de risques que la plupart des autres pays de subir de plein fouet la pandémie : sa position insulaire à l’écart des grands flux mondiaux et la grande jeunesse de sa population l’avaient épargnée. Mais malgré le faible nombre de contaminations durant la première vague, le gouvernement avait suivi l’exemple de la plupart des pays du continent africain et décidé la fermeture des écoles publiques pendant 5 mois. Puis les écoles ont rouvert. Mais comme le signale Constant Andrianatrehy : « les gestes-barrière n’ont jamais été respectés car la plupart des écoles ne disposent pas des infrastructures adéquates : manque de salles de classe, mais il y a aussi un manque de bancs, notamment dans les écoles publiques. Quant au port du masque il y a eu distribution de « cache-bouches » et de gel désinfectant par le ministère pour les élèves et les enseignants. La plupart des établissements scolaires ne disposent pas de sanitaires et des matériels suffisants pour effectuer un nettoyage régulier, en particulier dans les zones rurales ».
La deuxième vague a frappé depuis un mois environ : «la propagation de la maladie a été plus intense et plus rapide que l’année précédente. Au cours des deux mois derniers (mars et avril 2021), on recense déjà 3924 nouveaux cas, 260 décès, 304 formes graves sur 12 500 tests effectués. Le nombre de morts s’accentue et est plus important que l’an dernier. Cela signifie que le nouveau variant est plus puissant. » nous dit Constant Andrianatrehy. Le variant dominant est en effet actuellement le « sud-africain », plus contagieux. Le gouvernement a réagi un peu tardivement, prenant le 3 avril dernier « un décret pour un état d’urgence sanitaire de 14jours et faisant un appel au recrutement des nouveaux agents de santé (des nouveaux diplômés, et des retraités) pour un CDD d’un an afin d’augmenter le nombre des personnels de santé». Début avril, les vacances scolaires étaient prolongées pour une rentrée prévue le 19 avril, puis le gouvernement décidait de fermer les écoles le 14 avril.
Les insuffisances de la santé et de l’école publiques
La crise met en évidence les insuffisances des politiques publiques de santé et d’éducation.
La détection de tous les cas de contamination est très aléatoire : « Seuls tous les patients se rendant aux centres de santé et qui vivent donc dans les villes passent souvent le test » explique Constant Andrianatehy. De plus, « une partie du problème des tests est que leurs résultats ne sont pas publiés à temps » ce qui ne permet évidemment pas la mise à l’isolement et ne freine pas la contamination.
Si le nombre de contaminations et de cas graves peut paraître faible au regard des chiffres européens, les syndicalistes enseignants malgaches nous alertent sur le manque criant d’infrastructures médicales qui conduira à un taux de mortalité plus élevé que dans les pays riches. Aujourd’hui les bouteilles d’oxygènes, largement utilisées en cas d’insuffisance respiratoire, manquent sur l’île. Les hôpitaux malgaches sont dépourvus de tout et les formes graves de la maladie sont plus nombreuses avec le variant sud-africain. Les patients sont, selon les médecins, plus jeunes qu’au cours de la première vague.
Les appels à une solidarité internationale par des évacuations sanitaires vers les hôpitaux réunionnais ou sud-africains sont restés lettre morte…sauf pour quelques privilégiés : « l’évacuation sanitaire n’est pas destinée au grand public mais uniquement à ceux qui ont de l’argent. Par conséquent, la majorité des patients sont traités localement. Seuls les fortunés et les hommes d’état tels que les gouverneurs, les ministres ou les députés ont bénéficié d’une « évasan » vers l’étranger » déplore Constant Andrianatrehy.
La fermeture des écoles conduira à nouveau à une longue rupture de scolarité pour des millions d’enfants. Il n’est pas envisageable d’organiser un enseignement à distance en raison de l’extrême dénuement de la population. Le simple accès à l’électricité est rare dans les zones rurales. La très grande majorité des famille ne dispose d’aucun équipement informatique, ce qui n’a rien d’étonnant dans un pays où 75 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. De plus, les inégalités entre l’école publique et les écoles privées vont s’accentuer. La fermeture des écoles l’année dernière avait affecté plus de 7 millions d’enfants malgaches, d’après les statistiques de l’Unicef.
L’absence de vaccins
Face à cela, le gouvernement malgache n’a pas beaucoup avancé dans sa réflexion sur la vaccination. Dans un premier temps il a incité la population à utiliser des remèdes traditionnels à base d’artémisia pour soigner ou prévenir la covid-19. La confiance en la médecine traditionnelle, à base de plantes locales reste très forte au sein de la population. Selon Constant Andrianatrehy : «l’État essaie vraiment de diffuser cette médecine traditionnelle améliorée appelée Covid Organics +», mais « quant à son efficacité, beaucoup témoignent d’abord qu’elle guérit, mais il y a aussi ceux qui la critiquent et disent qu’elle n’est pas du tout efficace. Pour notre syndicat, la Covid-19 ne connaît pas encore de remède et tous les experts et chercheurs devraient être libres d’apporter les résultats de la recherche qu’ils publient ; mais la santé est une question de vie, donc elle ne doit pas être jouée ou expérimentée sur des produits dont le public n’est toujours pas sûr ».
Cette orientation a conduit pendant des mois le président Andry Rajoelina à ne pas envisager une campagne vaccinale et à rejeter la livraison de vaccins proposés par le protocole « covax » de l’OMS . Alors que la seconde vague met en danger des milliers de vies, le gouvernement ne s’est pas encore nettement prononcé en faveur de la vaccination et n’a effectué, semble-t-il aucune commande. Dans le même temps, l’Ordre des médecins de Madagascar s’est prononcé en faveur des vaccins et du protocole « covax ».
Une crise sanitaire qui s’ajoute à la crise alimentaire
La crise sanitaire intervient au plus mauvais moment dans le pays qui souffre déjà, dans le sud, d’un début de famine. Les épisodes de famine, appelés « kéré » dans la langue antandroy du sud de l’île, ne sont pas rares dans cette région sèche, plutôt dédiée à l’élevage, et éloignée de plus de 700 km de la capitale. La longue sécheresse a affecté les cultures vivrières et entraîné la vente du bétail et des biens de ceux qui étaient les plus touchées. « Il est très triste que les gens du sud soient très préoccupés par la famine. Il y a dans le sud un manque d’eau et d’aliments ; des troupeaux meurent, les gens mangent à peine, même les enfants sont en état critique, beaucoup sont morts » indique Constant Andrianatrehy. Cette situation a entraîné des départs massifs de familles vers le nord-ouest du pays. La famine gagne maintenant les régions voisines de l’Anosy et de l’Atsimo-Andrefana.
Le gouvernement a longtemps considéré que les écoles du sud fonctionnaient normalement mais selon Constant Andrianatrehy, « elles fonctionnent normalement au niveau administratif car il n’y a pas eu de note officielle du ministère ou un décret indiquant la fermeture des écoles mais on remarque quand-même des abandons temporaires des élèves ». De plus la très récente fermeture des écoles ne permet plus maintenant aux enfants de bénéficier d’un repas quotidien. Il est difficile pour les syndicats enseignants d’agir : « Pour l’instant, nous n’avons pas effectué d’actions importantes, faute de moyens. Nous avons envoyé une demande d’aide financière au Programme Alimentaire Mondial, mais nous n’avons pas encore reçu de réponse. C’est pourquoi j’appelle encore tous ceux qui sont ouverts à la solidarité internationale à regarder de plus près la situation des enseignants et du Sud » déclare Constant Andrianatrehy. Selon le PAM, à présent 1,2 millions de personnes se trouveraient en « situation d’insécurité alimentaire sévère ».
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