Un paysage scolaire contrasté
L’Ouganda est « entré » dans la crise sanitaire alors que des investissements conséquents du gouvernement avaient, depuis plus de 20 ans, conduit à une situation scolaire qui pouvait passer pour relativement satisfaisante : un très bon taux de scolarisation dans le premier degré, le développement de l’enseignement secondaire et particulièrement un allongement de la scolarité des filles, un recrutement massif d’enseignants répondant à la forte croissance démographique ( l’indice de fécondité est de 4,8 enfants par femme), une quasi-gratuité de l’enseignement, y compris dans le secteur privé, en grande partie subventionné par l’État.
Cependant la particularité du pays en matière d’enseignement est la part considérable du privé : un élève sur trois dans le primaire et deux sur trois dans le secondaire relèvent du privé. Cette situation a été plutôt consolidée ces dernières années par de larges subventions accordées au secteur privé : le programme d’éducation secondaire universel, mis en place en 2007, permet aux parents de ne payer que les frais d’uniforme (obligatoire dans le privé comme dans le public) et de cantine dans les zones rurales. Par des partenariats public/privé, le secteur privé a pu se développer. Le gouvernement se satisfait d’investissements privés en matière d’infrastructures scolaires et n’a pas ainsi à payer les salaires des enseignants. Mais ce qui est devenu un véritable « business » de l’école privé a un revers : pour que les investisseurs privés réalisent des bénéfices, il a fallu rogner sur la qualité des matériaux de construction, sur les salaires et le niveau de recrutement des enseignants du privé, sur certaines normes de sécurité et même sur la qualité de l’enseignement. Et bien entendu augmenter progressivement les frais de scolarité.
Cependant les établissements privés continuent d’avoir du succès, même auprès des familles modestes. Ces établissements jouent sur la mauvaise réputation des écoles publiques : si cette réputation est souvent injustifiée, elle est liée, surtout en milieu rural, au fort taux d’absentéisme des enseignants du public (environ 25%), qui doivent parfois cumuler deux métiers, dans des localités différentes, pour faire vivre leur famille.
Le pays qui a le plus longuement fermé ses écoles
L’Ouganda a été touché par la pandémie assez rapidement, mais, comme dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne à l’exception de l’Afrique du sud, le nombre de morts reste modéré par rapport à la population : 3400 décès environ pour 46 millions d’habitants. Dès le mois de mars 2020, le gouvernement a décidé de mesures drastiques : fermeture des commerces, bars et restaurants, suspension des transports publics, fermeture des écoles, fermeture temporaire des frontières. Dans ce contexte, toute l’économie a tourné au ralenti et beaucoup d’Ougandais ont perdu toute source de revenus pendant un an et demi. Le pays compte à présent environ 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (avec un revenu de moins de 2 dollars par jour), soit une augmentation de 25 % de la pauvreté en deux ans. La plupart des mesures ont été levées en septembre 2021, à l’exception de la fermeture des établissements scolaires.
La vaccination n’a vraiment commencé qu’à l’automne 2021, elle avait touché début novembre 3 millions de personnes, et 5 millions de doses sont actuellement disponibles, dans l’attente de 23 millions supplémentaires d’ici octobre prochain. C’est sur la vaccination que mise le gouvernement pour le retour à une vie normale.
La plus longue fermeture au monde des écoles (au total 83 semaines), qui a affecté 15 millions d’élèves, a eu de graves conséquences : dans le primaire, beaucoup de jeunes enfants qui venaient d’apprendre à lire et à écrire, ont presque tout perdu, et doivent à nouveau acquérir ces apprentissages. Dans le secondaire les effets sont encore plus marqués : beaucoup de grossesses précoces chez les filles ( plus de 650 000 dans tout le pays depuis le début de la crise sanitaire avance le FNUAP, dépendant des Nations Unies), beaucoup de travail informel chez les garçons qui, devenus plus autonomes financièrement, vont avoir du mal à reprendre le chemin de l’école. Selon, Filbert Baguma, secrétaire général de l’UNATU, le principal syndicat enseignant du secteur public, « des parents ont poussé leurs enfants à développer des capacités professionnelles de base, et les jeunes ont ainsi réalisé qu’ils pouvaient gagner de l’argent, ce qui leur fait penser qu’il est inutile de retourner à l’école ». Dans les zones rurales le travail des enfants est redevenu un phénomène banal qui touche autant les garçons que les filles.
Les deux années de fermeture ont donné lieu à un « enseignement à distance » bien peu satisfaisant : très peu d’enfants ont accès à internet, et la télévision, qui diffusait des programmes adaptés, est loin d’être présente dans tous les foyers urbains et quasiment inexistante dans le monde rural. Selon le secrétaire général de l’UNATU, : « il y a trois catégories d’élèves : ceux qui n’ont jamais cessé d’étudier depuis le 20 mars 2020 (date de fermeture) car ils viennent de milieux aisés, où ils ont été continuellement suivis et encouragés. Il y a ceux qui ont pu bénéficier des programmes de télévision, de radio, ou de cours imprimés, mais souvent de façon discontinue. Et il y a ceux qui ont tout arrêté le 19 mars 2020 et qui vont reprendre brusquement le 10 janvier 2022 (date de réouverture)« . Tous les observateurs concluent au creusement des inégalités.
Les enseignants ont eux aussi vu leur vie basculer : ceux du secteur privé ont très souvent changé de métier, puisqu’ils ne recevaient plus de salaire. Ils ont vu leur niveau de vie s’effondrer… ou parfois plutôt bien réussi leur reconversion…
Enfin, la fermeture des écoles a pour le moins mis à mal la « rentabilité » de l’école privée. Certains investisseurs du privé n’ont pas hésité à préserver leurs intérêts par les moyens les plus malhonnêtes : alors que les cours n’avaient plus lieu et que les enseignants étaient licenciés, ils ont continué à réclamer et percevoir des frais de scolarité des parents, dans la perspective d’une hypothétique réouverture. D’autres investisseurs ont définitivement interrompu les activités d’enseignement pour consacrer leurs bâtiments à de nouveaux usages lors de la réouverture des commerces en septembre 2021 : bars, salles de sports, hôtels…
Et maintenant…
Ce 10 janvier, les écoles ont donc rouvert, mais il faut maintenant réussir la reprise.
Les enseignants doivent être vaccinés, mesure soutenue par l’UNATU : « j’encourage vraiment tous les enseignants, plus les élèves de 18 ans et plus, ainsi que les personnels non-enseignants des établissements à se faire vacciner » a déclaré le secrétaire général de l’UNATU. Environ 75 % des enseignants seraient actuellement vaccinés. Un protocole est mis en place, impliquant que chaque matin la température des élèves soit vérifiée et qu’ils portent un masque en intérieur comme en extérieur.
Le ministre de l’éducation a donné quelques consignes pédagogiques et organisationnelles ; les élèves doivent reprendre au niveau de classe immédiatement supérieur à celui dans lequel ils étaient avant la fermeture, quel que soit leur suivi durant l’enseignement à distance, ce qui ne laisse pas d’inquiéter les enseignants. A ceux-ci le ministre a demandé de ne pas « surcharger » les élèves de devoirs afin de ne pas provoquer le découragement.
Il faut aussi régler la question des frais de scolarité exigés dans le privé : à la fois le remboursement des frais indus parfois perçus pendant la période de fermeture et celle de la brusque augmentation de ces frais annoncée à la réouverture en maints endroits. Le ministère de l’éducation a annoncé « porter une attention particulière » à ces établissements… Mais dans certains lycées privés, ce sont moins de 20 % des élèves inscrits en 2020 qui sont revenus le 10 janvier 2022… Le gouvernement tablerait sur pas moins de 30 % de décrocheurs scolaires dans l’ensemble du pays, ce qui reviendrait à anéantir en deux ans tous les efforts de scolarisation entrepris depuis 25 ans. On ignore encore l’importance réelle du décrochage et il faudra certainement plusieurs mois pour en tirer un bilan, mais il est certain que la crise économique issue de la crise sanitaire prive les familles de revenus qu’elles ne peuvent plus consacrer à l’éducation des enfants. Ce sont les enseignants du privé eux-mêmes qui se trouvent parfois dans l’obligation de ne plus envoyer leurs enfants à l’école.
Le secteur privé sera le grand perdant : avec des frais moyens s’élevant maintenant à 150 dollars par an, les familles de trois ou quatre enfants ne pourront plus y recourir, la salaire mensuel moyen étant de l’ordre de 130 dollars.
Le secteur public, sous-doté depuis que le gouvernement a fait le choix du développement du privé, pourra-t-il faire face à l’arrivée de nombreux jeunes venus du privé ? De plus, le départ de nombreux professeurs touche aussi le public : « il faut comprendre que tous les professeurs ne reviendront pas », affirme Filbert Baguma. « il y a des enseignants qui sont passés dans d’autres secteurs de l’économie et qui ont complètement changé d’activité. Et parmi eux il y en a qui ont réalisé qu’avec leur nouvelle activité, durant le confinement, ils ont gagné plus d’argent ». L’UNATU rappelle que ce sont les investissements dans l’enseignement public qui feront progresser la scolarisation et le niveau d’éducation.
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