Des mouvements djihadistes bien implantés face à des États faibles
La zone du Sahel, par sa faible densité et sa grande pauvreté est restée longtemps loin des projecteurs de l’actualité. Elle compte les pays les plus pauvres du monde, quatre d’entre eux (le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et le Mali) sont classés dans les dix derniers rangs mondiaux pour leur indice de développement humain. Le tracé colonial des frontières a, de plus, contribué à une marginalisation des nords désertiques ou steppiques au profit des capitales plus méridionales, situées dans des zones moins sèches et plus peuplées, et donc un peu moins pauvres. Ces inégalités régionales se sont doublées de conflits entre éleveurs des zones sèches et agriculteurs des zones de contact, souvent revêtus d’un habillage ethnique, comme l’antagonisme Peuls/Dogons au Mali ou Toubous/Saras au Tchad. L’explosion démographique et les faibles perspectives d’emploi ont aggravé les problèmes, tout comme les sécheresses à répétition qui ont affaibli plus fortement les éleveurs que les agriculteurs.
Dans ce contexte très inégalitaire, et face à des gouvernement impuissants ou corrompus qui ont peu œuvré pour assurer aux populations tous les services publics nécessaires, les mouvements djihadistes ont su habilement mêler retour aux valeurs traditionnelles, défense des « nordistes » oubliés de la capitale et promesse d’un encadrement administratif minimal. Parmi ces mouvements, les deux plus importants sont affiliés à l’État islamique pour le MUJAO et à Al-Qaïda pour AQMI. Le MUJAO s’est associé à un autre groupe en 2013, formant Al-Mourabitoun, et opère principalement autour de Gao au Mali. AQMI a été l’instigateur du vaste mouvement de rébellion dans le nord Mali en 2012 et a un temps contrôlé les villes de Tombouctou et de Gao mais a perdu beaucoup de ses troupes dans les combats contre l’opération franco-malienne. L’armée française a abattu son chef en 2020. Le GSIM, un groupe émanant d’AQMI, reste aujourd’hui actif au Mali et au Niger. Ansarul Islam a été créé au nord du Burkina Faso mais il opère aussi au centre du Mali, dans la région de Mopti. Dirigé par des peuls, il fut proche de l’imam Dicko, un prêcheur salafiste et égalitariste qui eut une grande influence sur les communautés peules du Burkina Faso jusqu’à sa mort en 2017.
Enfin, le groupe le plus redouté et tristement célèbre par ses exactions et ses enlèvements de lycéennes est nigérian : il s’agit de Boko Haram, basé dans l’État de Borno, dont le nom signifie littéralement : « l’éducation occidentale est un péché ». Un temps rallié à l’État islamique, il a été désavoué depuis par l’organisation qui désapprouve ses actions sanguinaires. Son chef Abubakar Shekau vient d’être abattu par l’État islamique qui compte bien reprendre le contrôle de tous les groupes djihadistes au Nigeria.
Si ces groupes se combattent parfois, ils ont aussi des liens idéologiques et d’entraide (leurs militants passent facilement des frontières très poreuses), ce qui peut aller jusqu’à mener des actions communes : on sait ainsi que 200 membres environ de Boko Haram ont combattu en 2013 aux côtés des djihadistes maliens contre les armées française et malienne autour de Konna.
Des groupes encore très actifs
L’intervention de l’armée française (opérations Serval et Barkhane) et les incursions nombreuses de l’armée tchadienne au Niger, au Cameroun et au Nigeria ont porté des coups très durs à ces mouvements, mais elles n’en ont pas éliminé tous les membres qui profitent des zones de non-droit de ces très vastes pays pour reconstituer des groupes actifs. S’ils ont rarement le soutien plein et entier de la population, ils bénéficient tout de même de l’impopularité globale d’États trop faibles qui laissent toute latitude à leurs armées pour faire régner un ordre arbitraire. Les exactions des armées régulières sont périodiquement dénoncées par les ONG : plus de 135 civils auraient été tués par l’armée malienne cette année, plus de 180 par l’armée burkinabé.
Au Burkina Faso, l’attentat du 4 juin dernier a fait 160 morts dans un village d’orpaillage du nord, Solhan, dont la majorité des habitants a été exécutée nuitamment par un commando qui comptait ainsi « punir » ces villageois de leur collaboration avec l’armée nationale.
Au Niger, relativement épargné jusqu’en 2019 , il semble que des groupes infiltrés du Mali voisin se soient actuellement implantés dans la province de Tillabéri (ouest). Deux attentats ont fait 66 puis 137 morts au mois de mars dernier, près de Tahoua. En 2020 des attaques avaient visé des camps militaires.
Au Mali, les attentats sont aujourd’hui plus rares mais les forces djihadistes contrôlent encore certaines zones frontalières et surtout demeurent opérationnelles dans tout le nord et le centre du pays, régions qui échappent en réalité au contrôle des forces gouvernementales. Les tensions sont encore très fortes entre Dogons et Peuls, ces derniers étant souvent accusés à tort de soutenir les mouvements djihadistes. Le massacre d’Ogossagou de 2019 reste dans toutes les mémoires. Dans ce village peul, plus de 160 femmes, vieillards et enfants avaient été égorgés ou brûlés vifs. La récente crise politique entre Paris et Bamako a conduit à la suspension des opérations militaires conjointes suite au coup d’État du colonel Goïta ; sans l’aide des forces maliennes, l’armée française se contentera d’opérations aériennes sans contrôle au sol.
Enfin, au Tchad, la zone sud-ouest, près du lac Tchad, sert de refuge aux troupes de Boko Haram en provenance du Nigeria où les exactions se poursuivent. Des combats entre Boko Haram et l’armée tchadienne ont encore eu lieu en avril dernier près de Kaïga, à une centaine de kilomètres au nord de N’Djamena.
Globalement, qu’il s’agisse de l’intervention française peu appréciée des populations locales ou de tentatives de reprise en main des armées nationales, comme au Tchad et au Niger, on ne peut que constater l’absence de « solution militaire ».
Des poches de déscolarisation
L’insécurité touche aussi les enfants qui ne sont pas épargnés par les attentats comme le montre le massacre d’au moins 20 enfants dans la tuerie de Solhan au Burkina Faso. Mais ce sont surtout des phénomènes de déscolarisation durable qui s’observent.
Dans l’État de Borno, le plus touché du Nigeria par les attentats et enlèvements, 83 % des jeunes de moins de 16 ans seraient illettrés et 49 % des enfants ne seraient pas scolarisés. C’est qu’une partie des enfants est constituée de réfugiés regroupés dans des villes qui n’ont pas les moyens de les scolariser, tant leur afflux a été massif, et qu’une autre partie des enfants, dans le monde rural, ne sont pas envoyés à l’école par peur des représailles ou d’une attaque de Boko Haram. Les djihadistes se sont attaqués à de nombreuses reprises à des écoles, collèges et lycées, ont froidement exécuté élèves et enseignants. D’après l’ONG Human Right Watch, de 2009 à 2015 dans le Borno, 910 écoles ont été détruites, 1 500 ont dû fermer, 611 enseignants ont été assassinés, 19 000 autres se sont enfuis, des centaines d’élèves ont été enlevés et près d’un million d’enfants ont été privés d’enseignement. La déscolarisation touche encore plus fortement les filles, sous la menace des enlèvements, viols et mariages forcés pratiqués par Boko Haram.
En 2019, l’UNICEF estimait qu’au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de 2000 écoles avaient fermé du fait de l’insécurité. Dans ces zones beaucoup d’enseignants étaient partis devant les menaces ou les attaques physiques dont ils étaient victimes. Au Niger en novembre 2020, un enseignant expérimenté a été assassiné par un groupe islamiste lié à Boko Haram.
Dans les zones « reconquises » par l’opération militaire franco-malienne, les promesses du gouvernement malien de rouvrir les écoles n’ont pas été tenues : si celles-ci ont été rénovées et parfois reconstruites grâce à des financements internationaux… le gouvernement n’a pu y affecter des enseignants.
Le nord et le centre du Mali connaissent depuis bientôt neuf ans une situation d’insécurité partielle ou totale. Ceci a eu une forte incidence sur la scolarisation. Selon Moustapha Guitteye, secrétaire général du syndicat enseignant SNEC, « les régions de Mopti, Bandiagara et Douentza (centre du pays) risquent de sombrer sur le plan éducatif ». Il se fonde sur des statistiques établies par une association locale, Dogon Vision, qui recense au début de l’année 2021, 643 écoles fermées, 3882 enseignants qui n’assurent plus leurs cours et 194 000 élèves déscolarisés dans 8 départements (cercles) du centre du Mali. Douentza, Koro et Mopti seraient les zones les plus touchées.
La déscolarisation se double d’une insécurité sanitaire : les dispensaires manquent de médicaments et de personnels soignants, des épidémies autrefois éradiquées comme la poliomyélite, font leur réapparition et la mortalité infantile est en hausse.
Toutes ces questions sont peu traitées par les media occidentaux qui n’ont plus accès à une grande partie du Sahel en raison de l’insécurité qui y règne.
Vous trouverez ici des informations sur les actions de coopération avec les syndicats d’autres pays, les analyses et réflexions du SNES-FSU sur l’actualité internationale, des comptes-rendu d’instances internationales dans lesquelles siège le SNES-FSU. Des remarques, des questions ?
Contactez nous : internat@snes.edu