Des affrontements intercommunautaires favorisés par le régime

Djibouti a porté, sous le régime colonial français, le nom de « territoire des Afars et des Issas ». Cette dénomination était conforme à la composition ethnique de la population mais marquait déjà l’opposition -encouragée à son profit par la puissance coloniale- entre les Afars, alors majoritairement nomades du nord et de l’ouest du territoire, et les Issas, de langue et de culture somalies, plus nombreux dans le sud et sur la côte. Aujourd’hui, le régime dictatorial de Guelleh attise les tensions entre les deux communautés afin de mieux asseoir son pouvoir.

Le 4 juillet dernier, des habitants du quartier de Warabaleh à Balbala (banlieue de la capitale Djibouti-ville) étaient arrêtés et incarcérés par la police du régime, accusés sans preuve du meurtre d’un berger issa. Toutes les personnes arrêtées étaient issues de la communauté des Afars. Tout en condamnant le meurtre, la Ligue Djiboutienne des Droits de l’Homme, par la voix de son président Omar Ewado, ancien responsable syndical enseignant, s’est inquiétée « de la privation de nourriture et de liberté de personnes arrêtées et pour la plupart innocentes », ajoutant que ces arrestations arbitraires « risquaient de mettre de l’huile sur le feu et de faire le jeu de ceux qui veulent nuire à la stabilité du pays et à la concorde entre les différentes communautés ». Deux jours plus tard, la police procédait à des arrestations massives de jeunes Afars à Warabaleh alors que le quartier subissait les assauts de jeunes Issas. Les violences intercommunautaires commençaient et étaient attisées par le comportement très partial de la police.

Fin juillet, alors que les tribunaux faisaient procéder à la libération des personnes arrêtées faute de preuves, la police les arrêtait à nouveau et faisait aussi interner les proches qui leur avaient rendu visite en prison. Des émeutes intercommunautaires éclataient alors à Balbala, entraînant l’incendie volontaire de maisons, des blessés et probablement des morts. La LDDH lançait un appel aux pouvoirs publics et à la société civile pour que tous « conjuguent leurs efforts pour parvenir à l’apaisement des tensions » et dénonçait « une situation explosive aux conséquences incalculables ».

Le 1er août les émeutes s’étendaient à d’autres quartiers de Balbala, au PK 12 et à Arhiba : la police tirait à balles réelles, tuant deux personnes et en écrasant une autre sous une voiture, laissant aussi plusieurs dizaines de blessés. Dès le 2 août, la région du nord, autour de Tadjourah, Randa et Obock, où résident beaucoup d’Afars, étaient la scène de manifestations de soutien aux Afars de Balbala ; ces manifestations ont été violemment réprimées par la police.

Le bilan de ces affrontements des mois de juillet et d’août serait, selon la LDDH, de 15 morts, plusieurs dizaines de blessés et de 250 maisons incendiées.

Le conflit, selon Omar Ewado, est aussi la répercussion des affrontements armés entre Tigréens et armée gouvernementale dans l’Éthiopie voisine. Il « oppose les deux communautés qui s’affrontent en Éthiopie, les Issas soutenant les Tigréens » de l’autre côté de la frontière, tandis que les Afars d’Éthiopie restent fidèles au gouvernement d’Addis Abeba et sont victimes de discriminations croissantes à Djibouti, où la majorité issa tient les rênes du pouvoir depuis longtemps.

Un régime aux abois qui réprime toute opposition

Alors que les violences se poursuivaient durant tout le mois, le 23 août, un cadre important de l’ARD (Alliance Républicaine pour le Développement), mouvement d’opposition, Abdallah Abro, était arrêté et emmené par les services de sécurité vers une destination inconnue. Or, cet opposant n’était pas encore remis d’un grave accident de voiture et son arrestation mettait en danger sa santé. La LDDH condamnait « cette arrestation arbitraire d’une personne convalescente » et demandait sa « libération immédiate ». Aucun suivi médical n’a depuis été accordé au détenu.

La répression s’accentuait le 26 août avec l’arrestation dans la région du lac Assal de deux Afars enlevés par des membres des services de sécurité cagoulés. Le lien de parenté des personnes arrêtées avec des militants du FRUD ( Front pour la restauration de l’Unité et de la démocratie) était la seule raison de leur enlèvement. Le FRUD est un mouvement de résistance armée qui entretient depuis des décennies une petite guérilla à la frontière nord, à partir de bases arrières en Érythrée. Il est principalement composé d’Afars.

Le 1er septembre, la LDDH alertait l’opinion sur le sort d’un autre prisonnier, Omar Daoud Omar, détenu depuis janvier 2021 à la prison de Gabode, torturé par la gendarmerie, et alité depuis dans sa prison sans aucun traitement médical. Selon Omar Ewado : « les conditions de détention à Gabode sont extrêmement pénibles. C’est une prison construite à l’époque coloniale, en 1960, qui ne correspond à aucun standard actuel. Les prisonniers politiques sont mêlés aux prisonniers de droit commun de la pire espèce ». Des témoignages font état de maltraitance, voire de torture et en été la chaleur est extrême dans des cellules où s’entassent des dizaines de prisonniers sur quelques mètres carrés.

La démocratie est inexistante à Djibouti, où tous les mouvements d’opposition ont été muselés et leurs dirigeants souvent contraints à l’exil. Le président Guelleh est au pouvoir depuis 22 ans et a entamé au printemps dernier un cinquième mandat après un simulacre d’élections qui se sont déroulées sans aucun protocole sanitaire alors que la pays était touché par l’épidémie de covid-19. Même le très timide Comité des droits de l’Homme de l’ONU a demandé au régime de réhabiliter le Mouvement pour le renouveau démocratique (MRD) que le gouvernement avait dissout en 2008, contraignant son dirigeant Daher Ahmed Farah à l’exil. Le délai de 180 jours donné par l’ONU au gouvernement djiboutien pour organiser la réhabilitation ayant expiré en juillet dernier, Daher Ahmed Farah a récemment estimé que : « Le régime, en refusant d’exécuter cette décision, confirme. Il persiste et signe qu’il est de nature dictatoriale. La justice internationale l’a désavoué et nous a reconnus, nous a rétablis dans nos droits. La répression, nous la connaissons depuis des décennies. Ce n’est pas cela qui nous fait peur. Mais nous, nous sommes dans nos droits et la communauté internationale, particulièrement la justice internationale, l’a clairement reconnu.  ».

Les enjeux géostratégiques

Le régime mise sur le soutien de la Chine qui contrôle son port et a implanté une base militaire depuis 2017. French People Daily, le site d’informations économiques gouvernemental et francophone chinois présentait ainsi le pays dans un article du 3 septembre dernier : « Ce pays de la Corne d’Afrique situé stratégiquement sur la deuxième route maritime commerciale mondiale est au carrefour de trois continents. Djibouti a misé sur le développement des grandes infrastructures, avec la construction à ce jour de six ports ainsi que de la plus grande zone franche internationale d’Afrique et du premier train électrifié de gabarit standard du continent, afin d’afficher définitivement ses ambitions de devenir un hub maritime commercial international incontournable ». On ne saurait mieux mettre en avant les intérêts économiques au détriment de toute préoccupation à l’égard des droits de l’Homme. Dans ce domaine, le président français n’a pas fait mieux, en recevant en grande pompe à l’Élysée le président djiboutien en février dernier. A l’issue de cette visite, outre le maintien de la base militaire française de 2000 hommes, un accord économique avec la région PACA et un autre avec Engie ont été signés. Le pays s’ouvre à tous les intérêts économiques internationaux, puisque, outre la très forte implantation d’entreprises chinoises, américaines, françaises et italiennes, un récent accord de coopération dans l’exploitation minière a été signé avec la Turquie. Pour le président de la Ligue Djiboutienne des Droits de l’Homme : « le régime attise les tensions pour paraître aux yeux des Occidentaux un rempart à l’explosion du pays ».

Navire chinois dans le port de Djibouti
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