L’insécurité permanente

L’attentat du 8 mai dernier visait une école de filles et a fait plus de 50 morts et une centaine de blessés, dont une majorité de jeunes élèves et d’enseignants. Une voiture piégée a explosé devant l’école, provoquant la panique des élèves et des enseignants qui sont sortis dans la rue et qui ont été alors victimes de deux bombes placées aux environs. L’attentat visait aussi particulièrement la minorité hazara, installée dans le quartier de Dasht-e-Barchi et considérée comme « impie » par les islamistes sunnites intégristes. Les Hazaras sont des chiites du centre montagneux du pays, dont beaucoup ont fui vers la capitale pour échapper aux attaques des talibans. Leur quartier avait déjà été visé par un attentat le 24 octobre 2020, lorsqu’un « kamikaze » avait fait exploser une bombe qu’il portait sur lui dans un centre délivrant des cours particuliers ; l’attentat avait fait 18 morts dont une majorité d’élèves et d’étudiants et n’avait pas été revendiqué. En août 2018, une école privée avait été visée par un autre attentat-suicide qui avait tué 48 personnes et en avait blessé 67.

Les affrontements entre Talibans et forces gouvernementales n’ont jamais cessé et sont aujourd’hui particulièrement fréquentes dans les provinces du sud, autour de Kandahar et de Lashkar Gah. Les insurgés islamistes s’appuient sur leurs bases arrières du Pakistan pour lancer ces offensives. Mais les attaques visent aussi le nord et l’est du pays et il n’est pas rare que les environs de Kaboul soient touchés, comme ce fut le cas fin avril. Cette insécurité permanente ne permet pas aux écoles afghanes de fonctionner normalement et de plus en plus de parents préfèrent garder leurs enfants et adolescents à la maison. De plus, dans les zones rurales conquises par les talibans, l’éducation des fille est proscrite.

La fin du ramadan avait donné l’espoir d’une suspension des combats puisqu’une trêve avait été conclue, mais elle a été brisée par un attentat meurtrier dans une mosquée le vendredi 14 mai, dans la banlieue de Kaboul. L’attentat serait l’œuvre de l’État islamique, concurrent des Talibans.

Les enseignants afghans démunis

En Afghanistan, la part de l’enseignement privé dans les grands centres urbains s’est accrue et l’enseignement public est parfois en difficulté. Mais dans les deux systèmes, les enseignants sont très mal payés et l’Afghanistan Teacher Support Association (ATSA) s’est récemment mobilisée pour obtenir du gouvernement qu’il tienne sa promesse d’augmenter les salaires des enseignants et de leur accorder des terrains pour leurs maisons. Ce dernier point est devenu très important dans les villes où la spéculation foncière, en particulier à Kaboul, a fait grimper le prix des terrains et interdit désormais aux fonctionnaires mal rémunérés d’accéder à la propriété. Dans le secteur privé, la pandémie a conduit à la fermeture des écoles et à la suspension des salaires des enseignants, sans aucune contre-partie. Les directeurs des établissements privés arguent de la suspension des frais d’écolage qui n’ont plus été payés par les parents depuis plusieurs mois.

« À titre d’exemple, un enseignant afghan du secteur public perçoit un salaire de 50 à 100 dollars, lorsqu’un chauffeur-interprète travaillant pour une organisation internationale peut percevoir jusqu’à 500 dollars. La communauté internationale concourt ainsi, malgré elle, à la mise en place d’une situation potentiellement dangereuse. Confrontée à la flambée des prix, une partie de la classe urbaine afghane éduquée vivote, entre misère et paupérisation, en dépit d’une aide internationale massive. » écrivait dès 2006 la chercheuse Marianne PERON-DOISE dans un article de la Lettre du Centre Asie (n°4, avril 2006). Les choses n’ont guère changé aujourd’hui, si ce n’est qu’une bonne partie de la classe moyenne éduquée a choisi les chemins de l’exil… et que les organisations internationales et les opportunités d’emploi qu’elles offraient se font plus rares.

Pourtant, et malgré la propagande islamiste, les aspirations des familles afghanes sont aujourd’hui encore tournées vers une éducation de qualité et le désir de promotion sociale reste grand alors que le chômage est massif dans les centres urbains.

Les femmes particulièrement visées

Le départ des forces américaines et le retrait progressif des forces étrangères, s’il peut rétablir le pays dans son indépendance, entraîne aussi des effets négatifs sur la condition des femmes. Le système de santé afghan est très insuffisant pour assurer des accouchements sécurisés en province et c’étaient souvent les ONG qui permettaient aux femmes d’accéder à des accouchements médicalisés en cas de difficulté. Or, avec le retrait des troupes étrangères, de nombreuses ONG quittent aussi le terrain, par peur de la montée de l’insécurité et d’attaques contre leurs employés, ce qui laisse craindre qu’à l’avenir, seule la capitale afghane permette d’assurer des accouchements dans de bonnes conditions médicales, écartant de fait la plupart des femmes provinciales pauvres qui ne peuvent payer un transport jusqu’à la capitale. L’ONG Human Rights Watch a récemment publié un rapport qui établit que l’accès aux soins des femmes de province se dégrade et que ceci est directement lié aux baisses des fonds accordés par les donneurs internationaux.

Les ONG sont en effet moins engagées sur le terrain, devant faire face à de graves problèmes de sécurité. Ainsi, en mars 2020, une maternité avait été attaquée en plein jour par un groupe armé qui a tué 25 personnes, dont 16 mères, des sages-femmes et plusieurs nouveaux-nés. L’attentat n’a jamais été revendiqué mais a conduit Médecins sans Frontières qui supervisait la maternité à se retirer du projet et à réduire ses activités en Afghanistan.

Par ailleurs, il faut rappeler que ni les Talibans ni l’État islamique n’acceptent l’éducation des femmes et que les zones contrôlées par ces mouvements islamistes voient le retour immédiat des femmes à la maison avec interdiction d’exercer un métier à l’extérieur et l’obligation du port du voile.

L’échec de l’intervention internationale

L’intervention internationale, depuis 2001, n’a pu rétablir des conditions normales de vie démocratique et de sécurité. Elle a pourtant impliqué jusqu’à 38 pays différents, sous l’égide des Américains. Ces derniers sont intervenus massivement, engageant des moyens financiers considérables mais sans aucune connaissance réelle du terrain. Il se dit à cet égard que dans le premier temps de l’intervention, les Américains avaient engagé des interprètes en… arabe…

Les armées étrangères et l’ONU ont longtemps soutenu un pouvoir très corrompu, voire brutal. Les résultats des élections ont souvent été décidés… à l’ambassade américaine et l’État afghan a échoué à construire des routes, des écoles, et à établir des structures solides dans le domaine de la justice et de la fiscalité.

Des programmes de développement ont bien été mis en place mais souvent ils étaient peu adaptés aux réalités du pays et la formation professionnelle dispensée a été peu efficace. Il a été facile aux islamistes de s’engouffrer dans la brèche d’un État inexistant : les talibans ont pu, eux, mettre en place dans les zones qu’ils dominent, une justice, une fiscalité et un enseignement selon leurs normes intégristes. Ces éléments ont conduit Gilles Dorronsoro, professeur à la Sorbonne et spécialiste de la région à parler de « si prévisible défaite » du « gouvernement transnational » en Afghanistan. Pour lui, devant la menace islamiste, les Occidentaux « ont construit de très beaux châteaux de sable ».

Aujourd’hui, le gouvernement d’Ashraf Ghani, englué dans des scandales de corruption, n’a plus la confiance de la population et n’est pas à même d’assurer sa sécurité. Le départ des troupes étrangères va sans doute engager les Talibans à programmer l’élimination de leur concurrent l’État islamique et les derniers attentats sont peut-être la première illustration de cet affrontement. Les Talibans contrôlent environ la moitié du territoire afghan et sont beaucoup mieux armés et structurés que l’État islamique, leur visée est nationale alors l’EI prône la « révolution islamique » mondiale. Leur retour au pouvoir signifierait la fin de la scolarisation des filles et la dégradation considérable de la condition des femmes dans tout le pays.

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