Qu’est-ce que l’enquête PASEC ?

Le PASEC (Programme d’analyse des systèmes éducatifs) est un système d’évaluation de l’éducation mis en place depuis 2014 par la CONFEMEN (Conférence des ministres de l’éducation des États et gouvernements de la francophonie). Une première enquête avait été réalisée en 2014 auprès de 10 pays de l’Afrique francophone subsaharienne, centrée sur les performances des élèves en début et fin de primaire. Puis une seconde enquête a eu lieu en 2019, dont les résultats ont été publiés en décembre 2020, qui entendait aussi mesurer les compétences des enseignants. 14 pays d’Afrique saharienne, tous volontaires pour participer et financer l’enquête, ont été partie prenante (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar, Niger, RDC, Sénégal, Tchad, Togo).

L’enquête 2019 évaluait chez les élèves les compétences en langue française et en mathématique au début et à la fin du primaire. Elle montre que, globalement, le niveau atteint est insuffisant en français en début et fin de scolarité, qu’il est meilleur en mathématiques en début de scolarité, mais a tendance à se fragiliser en fin de scolarité. Les disparités entre pays sont grandes, ainsi que celles entre les villes et les campagnes. L’enquête évaluait aussi, pour la première fois, les compétences des enseignants et leurs conditions de travail.

Les résultats de l’enquête 2019 concernant les performances des élèves

L’enquête montre qu’en début de scolarité les performances des élèves burundais, congolais (Brazzaville), gabonais, malgaches et sénégalais sont supérieures aux élèves togolais, béninois, burkinabés, tchadiens et guinéens. Les inégalités entre pays sont moindres en mathématiques mais l’enquête note que : « la faible maîtrise des compétences au niveau des calculs arithmétiques simples (addition et soustraction) par les élèves interpelle les systèmes éducatifs ».
En fin de scolarité les différences entre pays s’accentuent : le Gabon et le Sénégal permettent aux élèves d’atteindre un niveau satisfaisant en lecture, tandis que Madagascar, le Burundi, le Tchad, le Niger et la RDC réalisent des performances peu élevées. En mathématiques, le niveau des élèves ivoiriens, malgaches, nigériens, congolais (RDC) et tchadiens en fin de scolarité ne laisse pas d’inquiéter.

Les écarts de performance entre élèves sont aussi révélateurs de systèmes plus ou moins équitables : si Madagascar, le Burundi et le Gabon présentent peu de différences, les systèmes les plus inégalitaires semblent se situer au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Congo (Brazzaville). L’enquête conclut que « la variation des performances est expliquée par les différences entre écoles, ce qui peut provenir de la localisation des écoles (urbaine ou rurale), du type des écoles (public/ privé), de leur dotation en équipement adéquat pour les apprentissages ». Enfin, les inégalités filles/garçons, même si elles ne sont pas encore très marquées dans le primaire, apparaissent déjà en fin de scolarité : dans 8 pays sur 14 la part des filles baisse en cours de scolarité primaire, ce qui témoigne de déscolarisations.

L’enquête tient compte de l’environnement scolaire des élèves et le compare aux performances : ainsi l’accès aux manuels est souvent défaillant, les locaux insuffisamment équipés.

L’étude tient compte aussi des milieux sociaux et géographiques : sans surprise, le niveau d’instruction des parents tout comme l’éloignement géographique influent sur la réussite des élèves.La part des élèves qui souffre de la faim en classe est inquiétante dans certains pays( 55% en RDC, 49 % au Niger, 48 % au Burundi,46 % au Tchad) et corrélé négativement aux performances scolaires. Autre phénomène qui influe sur les performances : la travail des enfants : « En moyenne, la proportion d’élèves qui participent au petit commerce est de 39,1% pour l’ensemble des pays. Cette proportion est plus importante au Tchad (55,8%), au Niger (51,6%), au Cameroun (50,0%) et au Togo (47,1%) ». Ces activités extra-scolaires constituent « une entrave aux apprentissages », selon le PASEC. Plus de la moitié des élèves des 14 pays participent régulièrement aux travaux agricoles (plus de 70 % au Burundi, à Madagascar et au Tchad), ce qui entre toujours en corrélation avec de faibles performances scolaires.

L’enquête s’intéresse aussi aux parcours scolaires des élèves : plus nombreux sont les élèves qui ont fréquenté la maternelle, comme au Gabon, meilleures sont les performances ; mais les auteurs de l’enquête notent que ces taux de fréquentation de la maternelle correspondent aux milieux les plus urbains et les plus aisés. Les taux de redoublement sont très élevés, surtout si on les compare à des taux européens : plus de 54 % des élèves redoublent au moins une fois au cours de leur scolarité primaire… et dans certains pays il n’est pas rare de redoubler deux fois ( Burundi, Gabon). Les élèves ayant redoublé ont des résultats inférieurs aux autres, ce qui peut s’interpréter de différentes manières. Les classes surchargées sont bien entendu facteur d’échec : « en début de scolarité, globalement, les performances des élèves en langue et en mathématiques diminuent lorsque la taille des classes augmente ».

Enfin, l’enquête pointe la montée de l’insécurité dans certains pays qui n’a fait qu’accentuer les inégalités : « au Burkina, la multiplication des attaques armées contre des enseignants et les élèves pourrait rendre plus vulnérables les élèves déjà moins performants ».

Des résultats liés aux niveaux de qualification et aux conditions de travail des enseignants

En ce qui concerne les enseignants, l’enquête PASEC conclut à la maîtrise satisfaisante du français (pour 85% des enseignants) mais plus médiocre en mathématiques (65%). Là encore des différences entre pays existent : de la Côte d’Ivoire et du Bénin (97 %), du Gabon (95 %), à Madagascar (54%), la maîtrise du français est inégale selon les pays. « Cependant, ces moyennes nationales cachent parfois de grandes disparités de scores à l’intérieur des pays, cette dispersion des résultats est particulièrement importante en Guinée et au Burkina Faso ». Les compétences des enseignants en mathématiques sont inférieures à celles repérées en français. Satisfaisantes à 65 %, elles ne le sont qu’à 31 % au Tchad, 34 % au Congo-Brazzaville, 38 % en Guinée mais à 89 % au Bénin, 87 % au Sénégal, 84 % au Togo, 87 % au Sénégal, 82 % en Côte d’Ivoire. Les connaissances didactiques dans la discipline sont aussi variables selon les pays : bonnes au Togo, elles sont médiocres en Guinée, au Congo-Brazzaville et à Madagascar. L’ancienneté des enseignants, particulièrement quand elle est élevée (plus de 20 ans) est synonyme de meilleures connaissances disciplinaires et didactiques.

L’enquête indique que « le contexte subsaharien est caractérisé de façon générale par le faible niveau de formation des enseignants », avec moins de 20 % des enseignants diplômés du supérieur au Burkina Faso et à Madagascar, moins de 10 % au Niger et en RDC. Partout, sauf au Burundi, les enseignants ayant un diplôme universitaire montrent plus de compétences disciplinaires et didactiques.

Les conditions de travail des enseignants sont souvent jugées par eux-mêmes comme insatisfaisantes : « la qualité des bâtiments est jugée particulièrement faible dans beaucoup de pays où moins de 40 % des enseignants s’en satisfont à Madagascar : (21,6%), au Tchad (33,7%), au Togo (33,9%) et en RDC (38,1%) ». « La disponibilité de fournitures scolaires est mal perçue, notamment à Madagascar, au Tchad, au Togo ».

Ce sont surtout les conditions salariales qui restent déterminantes. Le PASEC n’hésite pas à affirmer que : « dans certains pays subsahariens, le salaire des enseignants équivaut ou se situe même en dessous du seuil de pauvreté et les enseignants sont incapables de gagner décemment leur vie ». Globalement, plus de 82 % des enseignants estiment qu’ils sont très insuffisamment payés…avec quelques différences puisque 12 % des enseignants burundais s’estiment bien payés… tandis qu’ils sont 0,3% chez les enseignants malgaches…

Les opportunités de formation sont jugées par les enseignants comme trop rares, dans tous les pays.

Or, le PASEC établit clairement des corrélations entre conditions de travail des enseignants, rémunération et performances des élèves.


Les problèmes posés par l’enquête et son exploitation éventuelle

Si le PASEC est constitué d’une équipe de chercheurs reconnus et s’appuie sur des collaborations avec des organismes du supérieur irréprochables sur le plan scientifique (universités de divers pays francophones, instituts de recherche), si la méthodologie est rigoureuse et si le nombre d’écoles visitées est important (en moyenne 180 écoles par pays), l’enquête menée en 2019 n’était pas, pour les syndicats enseignants africains, au-dessus de tout soupçon, en particulier pour la partie consacrée aux enseignants. S’appuyant sur des précédents nationaux, ceux-ci craignaient que les résultats soient exploités par les gouvernements pour initier une vague de licenciements d’enseignants désignés comme incompétents.

Le CSFEF a donc demandé qu’un comité d’éthique veille à ce que l’évaluation des enseignants se garde de dénigrer systématiquement les enseignants ou de conduire à de trop rapides conclusions sur leur éviction, souhaitant que la formation soit privilégiée en cas de compétences insuffisantes.

Le CSFEF, au prix d’un long dialogue avec la CONFEMEN a pu obtenir que les syndicats soient consultés et participent au processus d’évaluation. Mais les bonnes intentions de départ ont été parfois confrontées à des réalités de terrain différentes. Selon Augustin Tumba Nzuji de la FENECO (RDC), qui était chargé de suivre ce dossier pour le CSFEF, : «dans beaucoup de pays les syndicats n’ont pas été assez associés ». dans son propre pays, la République démocratique du Congo, « nous avons senti une réticence forte du gouvernement à collaborer avec les syndicats et une absence de volonté de transparence. Tout s’est déroulé en vase clos et nous n’avons eu accès qu’aux résultats »

Jean-Hervé Cohen, président du CSFEF, regrette que sur le plan national, « les méthodes soient restées assez opaques », malgré un dialogue plutôt ouvert avec la CONFEMEN, « il faut faire pression pour que les ministres de l’éducation jouent le jeu de la transparence », ajoute-t-il. Pour Sénon Hounsime de la FESEN (Togo) : « une cellule du PASEC a été mise en place par le gouvernement dans laquelle les syndicalistes ne se reconnaissaient pas, après discussion avec le responsable de la cellule, nous nous sommes aperçus que le gouvernement craignait le regard syndical et tentait de donner une image idyllique de l’enseignement au Togo ».

Pour Jokebed Djikouloum du SET (Tchad) la cellule locale du PASEC a été entièrement phagocyté par le ministère de l’éducation, « les syndicats n’ont pas vraiment été associés, mais grâce à l’action du CSFEF, un comité syndical a été mis en place pour obtenir des éclaircissements de la part du gouvernement, cependant la restitution au niveau national n’a pas encore eu lieu », « néanmoins les syndicats ont formé leurs militants et ont pu débattre du rôle du PASEC ». Elle se réjouit de la réaction syndicale :« nous avons fait un plaidoyer pour que les parties prenantes de l’éducation soient associées au travail du PASEC, il y a unanimité syndicale sur ce plan, nous refusons le huis clos et exigeons que l’on nous informe sur les modalités de recrutement des enquêteurs, sur les méthodes d’enquête ».

L’enquête PASEC a aussi le mérite de poser quelques questions aux gouvernements… et aux syndicats

Parmi les questions posées par l’enquête, deux paraissent assez peu conformistes : celle du lien entre condition de travail des enseignants et performances des élèves et celle de l’enseignement en français. Elles ont donné lieu à des préconisations du PASEC dont les syndicats enseignants peuvent se saisir pour interpeller leur gouvernement. Luc Allaire, secrétaire général du CSFEF, se déclare satisfait que « les conditions de travail aient été prises en compte et que l’enquête ait conclu à l’influence de la condition enseignante sur les résultats des élèves ».

L’enquête établit en effet clairement le lien entre les salaires enseignants, les conditions matérielles de travail (équipement, locaux), la qualité de la formation initiale et continue et les performances des élèves. Les préconisations du PASEC sont claires : pour améliorer l’enseignement il faut mieux payer les enseignants, mieux les former, diminuer le nombre d’élèves par classe, développer l’enseignement pré-scolaire, faire porter plus d’efforts sur les élèves en difficulté… ce qui rejoint beaucoup de revendications syndicales ! Au Sénégal, au Gabon, au Burundi, les syndicats ont été assez engagés pour que les résultats du PASEC servent de point d’appui à leurs revendications. Au Sénégal, la publication des résultats nationaux de l’enquête a donné lieu à une grande conférence de presse organisée par les syndicats sénégalais de l’éducation et le CSFEF qui a permis de populariser leurs revendications.

Une autre préconisation est plus sujette à discussion au sein des syndicats d’Afrique francophone : pour le PASEC, les médiocres résultats des élèves en français sont liés à des pratiques d’apprentissage trop précoces pour des enfants dont la langue maternelle n’est pas le français. C’est pourquoi il préconise d’introduire plus progressivement l’apprentissage du français. Ceci a donné lieu à un débat entre syndicats francophones.

Selon Marie Jeanne Kombo du SYNADEEPCI de Côte d’Ivoire, « commencer l’apprentissage très jeune du français est un plus, à condition de ménager une place à la langue maternelle et il faut commencer par la maîtrise de la langue maternelle ». Mais elle insiste sur la nécessité d’avoir une langue de communication, qui permet de voyager au sein même du pays, « dès que nous quittons notre région nous avons besoin du français, c’est pourquoi les parents s’efforcent souvent d’apprendre aux enfants le français dès le plus jeune âge ».

Pour Sénon Hounsime de la FESEN (Togo), « il y a des différences selon les milieux car beaucoup de parents parlent français avec leurs enfants dès leur plus bas âge, avant la scolarisation, donc il n’y a pas tellement de problèmes pour ces enfants quand ils abordent le français à l’école ; la perturbation vient des grandes différences qu’il peut y avoir entre la maison et l’école, mais cela touche aux différences sociales et la différence rural/urbain ».

Pour Amadou Tidjane Ba du SNES-Mauritanie et Jacques Taty Mwakupemba de la FENECO (RDC), l’usage du français comme langue d’enseignement est aussi une « question politisée ». Pour Amadou Tidjane Ba «le niveau de français est bas en Mauritanie» (pays non associé à l’enquête PASEC) où il existe une langue commune, la hassaniya (dialecte arabe), alors qu’en RDC, Jacques Taty Mwakupemba insiste sur la division linguistique, même si 4 langues nationales sont enseignées , selon les régions du pays. Il explique qu’ « après la fin du parti unique en 1990, le français a été priorisé, avec beaucoup d’échec, d’où le volonté aujourd’hui de revenir aux langues nationales au niveau élémentaire et d’introduire plus tard le français et l’anglais ».

L’apprentissage précoce du français fait donc débat, mais il ne peut être envisagé de la même manière selon les pays et leur composition linguistique.

En faisant porter le débat sur les résultats de l’enquête PASEC, les syndicats qui constituent le CSFEF, pour beaucoup implantés en Afrique subsaharienne, ont montré qu’ils pouvaient s’emparer des résultats d’enquêtes gouvernementales pour faire valoir leurs revendications, souvent communes d’un pays à l’autre.


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