Des attaques contre les droits des femmes et les minorités sexuelles

Le SNES-FSU a établi depuis longtemps des liens étroits avec le ZNP, grand syndicat de l’éducation progressiste, qui a une longue histoire puisqu’il fut fondé en 1905. Après avoir lutté pour une Pologne indépendante et un enseignement dispensé en polonais avant 1918, il a, dans l’entre-deux-guerres, combattu pour établir un État démocratique et fonder un enseignement libre des pressions exercées par l’Église.

Aujourd’hui, le ZNP continue à lutter pour les respect des libertés fondamentales. Il dénonce la fin du droit à l’avortement, qui n’est même pas passé par un vote au parlement. En novembre 2020, en effet, la Diète polonaise (parlement) n’a pas été consultée sur la réduction drastique du droit à l’avortement. Ces sont les juges ultra-conservateurs de la Cour constitutionnelle qui ont statué et dénoncé le droit à l’avortement (déjà plus restrictif que dans la plupart des pays européens) comme « contraire à la vie ». Ceci a entraîné néanmoins une forte réaction de la jeunesse progressiste qui a largement manifesté dans les rues.

Les mouvements ultra-catholiques, largement favorisés par le PiS, considèrent que l’avortement est une « euthanasie » et évoquent hypocritement une « discrimination à l’égard des handicapés ». La Pologne rompt ainsi avec une longue tradition de droits accordés précocement aux femmes : le droit de vote dès la recréation de l’État polonais en 1918, le droit à l’avortement en 1956.

Les attaques contre les personnes LGBTI ont aussi été monnaie courante en Pologne depuis deux années, si bien que certaines quittent maintenant le pays, de peur d’être victimes d’ostracisme ou de violences. Pourtant la Pologne fut un des premiers pays d’Europe à dépénaliser l’homosexualité en 1932. Dans certaines provinces, les pouvoirs locaux ont pu adopter des résolutions « anti-LGBTI » et créer des « zones sans LGBTI ».

Il faut dire que depuis octobre 2020, le ministère de l’éducation est dirigé par un ancien militant des « droits des familles », à l’idéologie ultra-conservatrice, qui considère que les personnes LGBTI « ne sont pas des gens normaux ». Ordonnant la révision des programmes scolaires dans le sens de ses convictions, il a fait supprimer les cours d’éducation sexuelle et interdit toute allusion à l’homosexualité à l’école. Les militants de l’organisation Ordo Iuris, des extrémistes ultra-catholiques, ont les faveurs du ministre et c’est ainsi un théologien d’extrême-droite qui s’est vu confier la tâche de réviser les manuels scolaires. « Ordo Iuris est le bras armé le plus actif de l’Église, qui dirige en fait le ministère de l’éducation et qui indique aux parents ce qu’il convient de faire pour combattre une éducation fondée sur la non-discrimination et le droits des femmes» explique Dorota Obidniak, du ZNP. Ce mouvement se rattache aux organisations catholiques ultra-conservatrices et est affilié au mouvement Tradition Famille et Propriété, mouvement international qui défend les valeurs conservatrices de l’Église catholique. Cette organisation est tellement marquée à droite qu’elle n’est pas reconnue par de nombreuses Églises nationales, comme en France où l’Église officielle s’en tient très éloignée. « Ordo Iuris a, en Pologne, un impact sur l’éducation, incite régulièrement les parents à s’opposer à l’éducation sexuelle ou à n’importe quel thème dans les programmes scolaires qui affirme l’égalité hommes-femmes ou enseigne la tolérance à l’égard des personnes LGBTI » poursuit-elle. Aujourd’hui, bien peu de parents polonais osent se dresser contre l’influence de ce mouvement.

La révision de l’histoire dans un sens ultra-nationaliste

Une loi de 2018 , votée à l’instigation du PiS, interdit d’attribuer à la nation ou à l’État polonais la responsabilité des crimes nazis. Elle conforte l’idée nationaliste d’une Pologne uniquement victime de l’occupation allemande et dans laquelle aucun acte de collaboration n’aurait été pratiqué.

L’historien américano-polonais Jan Tomasz Grosz s’était déjà vu retirer ses titres et décorations pour son livre reconnu par toute la communauté scientifique internationale, Les voisins, qui décrit, à base de sources historiques incontestables, la participation des habitants de la petite ville de Jedwabne à la spoliation et à un véritable pogrom de Juifs polonais en 1941. Il a montré dans un autre livre, publié en 2006, que les pogroms et les spoliations avaient continué après la fin de la guerre. Deux autres historiens, Barbara Engelking et Jan Grabowski ont été récemment poursuivis pour diffamation par l’État polonais pour des raisons similaires.

De fait, les manuels scolaires ont été révisés dans un sens très nationaliste : « les nouveaux programmes d’histoire se focalisent sur l’histoire nationale, des héros qui ne conviennent pas au pouvoir actuel, comme Lech Walesa, en ont été expulsés », alors que les soldats de l’Armée polonaise issus de la résistance anti-communiste (AK), qui ont combattu les Soviétiques après 1945, « sont devenus les nouveaux héros, même s’ils sont très controversés » déplore Dorota Obidniak. « Le problème est qu’il y avait de purs bandits parmi eux, qui ont exécuté des Juifs, des Biélorusses et des Ukrainiens ». De façon générale, la révision de l’histoire a conduit à « un culte de la guerre et des soldats nationalistes, les directeurs des plus grands musées polonais ont été changés, le problème des relations entre Polonais catholiques et Juifs pendant et après la guerre, puis en 1968 (date d’une purge « anti-sioniste » au sein du parti communiste polonais qui conduisit à écarter les dirigeants juifs)), toutes ces questions ont disparu du système éducatif et ne sont plus évoquées. Ces tendances sont très dangereuses et tristes ».

Très récemment, en mars 2021, la Cour d’appel de Varsovie a validé la décision de justice condamnant la chaîne allemande ZDF à publier des excuses après la diffusion de la série Unsere Mutter, Unsere Vater qui montrait des résistants de l’Armée polonaise (AK) aux propos et aux convictions très fortement antisémites.

Par ailleurs, les récentes menaces sur la liberté de la presse, dénoncées par le grand journal d’opposition Gazeta Wyborcza, visent à favoriser les organes pro-gouvernementaux et à taxer fortement les ressources publicitaires des médias indépendants, ce qui pourrait conduire à leur asphyxie. Or, c’est dans ces médias que peuvent encore être évoqués librement certains points controversés de l’histoire nationale.

Des pressions considérables sur les enseignants

S’appuyant sur des groupes de parents d’élèves ultra-conservateurs et qui se réclament d’un catholicisme « national », le ministre de l’éducation a interdit à des ONG progressistes l’accès aux écoles et la participation à tout projet. Dans les grandes agglomérations plus progressistes ces groupes ont moins d’influence mais nos collègues polonais nous disent que les écoles et établissements secondaires des milieux ruraux sont sous l’emprise de ces groupes ultras. « Les enseignants dans les petites communes rurales sont souvent isolés. Les catéchistes qui sont présents dans chaque école où ils enseignent deux heures de religion par semaine pour chaque niveau de classe, et qui sont sous l’autorité étroite de l’Église, vérifient que tout est conforme à la « voie de Dieu » et peuvent toujours inciter les parents à réagir, mobiliser la communauté locale ou même les élèves, contre tous les projets portant sur l’égalité de genre » affirme Dorota Obidniak. Le contrôle des écoles et établissements du second degré a été facilité par la « casse des conseils d’enseignement » selon la syndicaliste. « Beaucoup d’enseignants ont été mutés d’office, beaucoup de directeurs et principaux ont changé et de nouveaux types d’écoles sont apparus où les principaux et directeurs sont nommés par une commission dont les membres les plus influents sont les autorités locales », or celles-ci « sont aux mains du PiS et l’Église se tient derrière ».

La répression anti-syndicale s’accentue dans les écoles : ainsi certaines autorités éducatives locales n’ont pas hésité à demander aux chefs d’établissement une liste des personnels qui ont participé aux récentes manifestations. Le ZNP et ses militants sont directement visés. Le syndicat a porté une assistance juridique à ses membres victimes de harcèlement et de discrimination. Son président Slawomir Broniarz déclare : « La base d’une éducation de qualité est la confiance mutuelle : la confiance des parents dans les enseignants, celle des élèves dans les enseignants et celle des enseignants dans les parents. Elle repose également sur le sentiment de sécurité des élèves et du personnel enseignant au sein de leur établissement scolaire, indépendamment de leur orientation sexuelle, de leur religion, de leur origine ou de leur identité de genre. » Or cette sérénité, cette confiance mutuelle, n’existent plus dans beaucoup d’établissement polonais, le gouvernement et les organisations ultra-conservatrices ayant organisé depuis plusieurs années la mise en question permanente de l’enseignement prodigué par certains parents soutenus par des groupes politiques extrémistes. « Il y a une critique constante de l’école et de l’institution scolaire comme n’étant pas assez patriotique, implantant dans la tête des élèves des idées dangereuses, répandant des idéologies destructrices » regrette Dorota Obidniak.

Gay,Pride à Varsovie en juin 2019

Cependant l’espoir existe : le PiS n’est pas toute la Pologne et ce dernier n’a remporté que de justesse les dernières élections. La force des mouvements de contestation de la jeunesse, les récentes mobilisations en faveur du droit à l’avortement, les combats d’une intelligentsia progressiste et les succès passés des Gay Pride et autres manifestations joyeuses de rejet des idéologies réactionnaires laissent penser que la Pologne peut redevenir un pays de liberté et de démocratie. Nos amis syndicalistes polonais hésitent entre espoir et inquiétude. Dorota Obidniak conclut : « la participation massive des jeunes aux manifestations contre la fin du droit à l’avortement, les déclarations officielles de renonciation à l’affiliation à l’Église, le nombre décroissant d’étudiants en théologie montrent que la jeunesse est moins conservatrice, mais d’un autre côté, les organisations ultra-catholiques rassemblent des jeunes et gagnent en importance. Récemment un sociologue célèbre a écrit un article inquiétant au sujet de ses propres étudiants : il affirmait qu’ils étaient déjà habitués à un État qui n’est plus démocratique et qu’ils avaient cessé de comprendre ce qu’est un État de droit ».

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