Un mécontentement enseignant profond

Les enseignants hongrois sont notoirement mal payés et depuis plusieurs années demandent des augmentations substantielles. Un enseignant débutant perçoit moins de 400 euros mensuels et un enseignant en milieu de carrière environ 700 euros. La Hongrie est à l’avant-dernière place de l’Union Européenne, juste devant la Bulgarie, pour la rémunération des enseignants. Mais avec un coût de la vie plus élevé qu’en Bulgarie, particulièrement à Budapest. Les conséquences de cette politique délibérée d’appauvrissement du corps enseignants sont doubles : d’une part beaucoup d’enseignants sont contraints de donner des cours particuliers pour survivre, d’autre part, beaucoup de postes ne sont pas pourvus dans les écoles publiques, les enseignants cherchant des engagements plus rémunérateurs dans des instituts privés ou des écoles étrangères.

Depuis 2015, le gouvernement a gelé les rémunérations des enseignants qui ont beaucoup perdu en revenu réel en raison de la forte inflation (de 5 à 7 % par an). Le gouvernement a annoncé récemment une augmentation de 10 % des salaires pour 2022…mais sous forme de prime qui a tout de provisoire… Or, compte tenu de la perte de pouvoir d’achat depuis plus de 7 ans et de la perte d’attractivité du métier, les syndicats enseignants demandent des hausses immédiates de salaire de 30 % en début de carrière, et un plan de rattrapage salarial progressif qui permettrait de passer des 30 à 50 % d’augmentation.

Une autre revendication tient à la charge de travail des enseignants qui s’est accrue depuis une décennie au moins. «  La question de la réduction de la charge de travail a également été soulevée lors des négociations, mais les syndicats et le ministère n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente sur cette question » indique Zsuzsa Szabo, présidente du PSz. En cause, les difficultés de recrutement qui répercutent la charge de travail sur les enseignants en sous-effectifs.

Enfin, la crise sanitaire, de l’avis général très mal géré par le gouvernement, a donné lieu à des mesures autoritaires sans aucune consultation. Ainsi, depuis la fin de l’automne, l’obligation vaccinale pour tous les fonctionnaires a été décrétée. Ceux qui ne voulaient pas s’y soustraire étaient dans l’obligation de prendre un congé sans solde.

Le refus du gouvernement de négocier

Le gouvernement a toujours traité les enseignants par le mépris, un membre du FIDESZ, le parti de Viktor Orban, allant jusqu’à évoquer « ces défilés de profs mal rasés en chemises à carreaux ». Par dérision, les enseignants ont repris l’expression et se revendiquent maintenant du « mouvement des chemises à carreaux ».

Le 31 janvier, les deux syndicats PDSz et PSz ont lancé une grève d’avertissement de deux heures pour inciter le gouvernement à négocier. Une autre grève de deux heures a eu lieu le 14 février. Malgré un nombre très important de grévistes, cela n’a rien donné. A présent les syndicats s’orientent vers un mouvement plus vaste : « si aucun accord n’est trouvé aujourd’hui, les syndicats sont prêts à entamer une grève illimitée » annonce Zsuzsa Szabo. Elle ajoute que « les précédentes négociations entre le ministère et les deux syndicats n’ont pas permis d’obtenir le retrait du décret relatif aux travailleurs des écoles publiques, qui instaure l’obligation vaccinale », de plus « aucun accord n’a été conclu sur les augmentations de salaire non plus, le gouvernement s’en tenant apparemment à l’augmentation de 10 % pour 2022, et pas plus. »

Il faut dire que le pays se trouve en pleine campagne électorale avec des élections législatives prévues le 3 avril et dans lesquelles le FIDESZ et Orban jouent gros : l’opposition est parvenue à s’unir, de la gauche à la droite libérale, et à présenter un candidat unique au poste de premier ministre en la personne de Peter Marki-Zay. L’opposition était donnée gagnante il y a encore quelques semaines. Mais Viktor Orban a multiplié les claquements de drapeau liées à la guerre en Ukraine (sans pour autant organiser un accueil digne des réfugiés), a proclamé un pacifisme de façade et octroyé quelques mesures destinées à augmenter le pouvoir d’achat. La réalité du budget 2022 est tout autre avec une austérité et des coupes sombres dans les budgets de la recherche et de la santé. A la mi-mars, l’opposition n’est plus donnée gagnante dans les sondages.

Vers la désobéissance civile

Face à une contestation enseignante qui va grandissante et qui pourrait paralyser les écoles du pays à la veille des élections, le pouvoir a réagi avec brutalité et n’a pas hésité à remettre en cause le droit de grève. Par décret du 11 février 2022, le gouvernement a imposé un service minimum dans les écoles et établissements scolaires qui oblige les grévistes à être présents sur leur lieu de travail et à assurer certains cours. Ce qui n’empêcherait pas le prélèvement d’une journée de salaire pour ceux qui se déclareraient grévistes ! Les deux syndicats de l’éducation ont immédiatement condamné ce qu’ils considèrent comme un abus de pouvoir et «ont déposé le 8 mars un recours auprès de la Cour constitutionnelle, demandant que le décret gouvernemental du 11 février soit déclaré inconstitutionnel et que la loi soit annulée. Si l’affaire n’aboutit pas, les enseignants entameront une grève illimité le 16 mars » indique Zsuzsa Szabo. Les syndicats envisagent aussi de saisir la cour de justice européenne.

Alors que beaucoup d’enseignants se préparent au mouvement du 16 mars, l’idée d’une désobéissance civile fait son chemin : « De plus en plus d’enseignants des écoles se joignent à l’action de désobéissance civile qui s’est poursuivie le 8 mars  . A présent, les enseignants des écoles publiques ont largement opté pour la désobéissance civile, en plus, certaines institutions religieuses se sont ralliées à l’action. Ces derniers jours, plusieurs écoles d’enseignement professionnel et plusieurs maternelles se sont jointes à nous, avec des enseignants de près de 200 institutions depuis le début de l’action le 14 février» explique la présidente du PSz.

Devant l’absence de volonté d’apaisement et de négociation du gouvernement, le PSz et le PDSz lancent la grève illimité à partir du 16 mars avec pour mot d’ordre : « a sztrajk alapjog ! » : « la grève est un droit fondamental ! ». La FSU et le SNES soutiennent les enseignants hongrois dans leur lutte pour la reconquête de leurs droits et l’amélioration de leurs conditions de travail et de rémunération.

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