La Vengeance d’Orbán

La loi du 4 juillet 2023, par les objectifs qu’elle fixe, ne répond en rien aux problématiques de l’éducation. Elle est un prétexte pour bâillonner une profession contestataire et critique du pouvoir en place. En effet, Viktor Orbán et le pouvoir hongrois s’en prennent régulièrement aux enseignants. Pour lui, l’école doit participer à « la guerre culturelle » contre la culture « diversitaire » incarnée par les progressistes. Depuis son retour au pouvoir en 2010, le ministère de l’Éducation a été tout simplement supprimé. Les enseignant·es relèvent depuis du Ministère de l’Intérieur.

Nos collègues hongrois·es se sont fortement mobilisé·es ces derniers mois pour protester contre la politique éducative de leur président, nous en avions fait écho dans le numéro de 828 de l’Université Syndicaliste. Malgré un droit de grève largement entravé, les syndicats de l’éducation, rejoints par les parents et les élèves, ont organisé de grandes manifestations, notamment une chaîne humaine de 10km le 18 novembre. A l’époque, le pouvoir n’avait déjà eu que la répression pour seule réponse, en licenciant des enseignant·es contestataires. Aujourd’hui, il passe à la vitesse supérieure en s’attaquant à leur métier.

Des attaques tous azimuts

Lorsqu’elle entrera en vigueur en janvier 2024, la « loi de la vengeance » retirera à nos collègues leur statut de fonctionnaire. Privés de la sécurité de l’emploi, ils verront leur temps de travail augmenter. La loi prévoit en effet le passage à la semaine de 48h (contre 40h actuellement), comprenant 24h de cours, et des amplitudes journalières pouvant aller jusqu’à 12h. Ils perdront également en liberté pédagogique et verront leur salaire déterminé par le chef d’établissement via une notation annuelle en fonction de leur « performance ». Ce dernier pourra notamment décider de baisser le traitement sous le minimum légal en cas de notation négative.

Big brother is watching you

Artie-Navarre/Pixabay

Élément très inquiétant, la nouvelle législation permet également de surveiller les professeurs à l’aide d’appareils électroniques en même temps qu’elle réintroduit les « infractions » disciplinaires, les procédures disciplinaires qui avaient été abolies pour les fonctionnaires et les licenciements collectifs.

Cynique, le pouvoir en place se permet même d’affirmer que la nouvelle loi, « préserve la vie privée des professeurs », dont « les ordinateurs personnels ne pourront être contrôlés », ce n’était pas le cas dans la première rédaction de la loi , et « procure aux enseignant·es un droit d’opinion sur les questions liées à leurs établissements » (sic).

Un pacte enseignant version hongroise

La loi Orbán comprend des dispositions qui vont nous paraître étrangement familières. Elle impose aux professeurs le remplacement des collègues absents, jusqu’à 60h de remplacement non rémunérées par année scolaire y compris dans des établissements parfois éloignés. Ils peuvent aussi se voir confier des nouvelles missions qui ne figurent pas dans la description du poste qu’ils occupent, comme par exemple le nettoyage.

Bien sûr, comparaison n’est pas raison et la Hongrie n’est pas la France. Cependant, la situation hongroise rentre en résonance avec des décisions d’Emmanuel Macron ou des déclarations récentes de l’Élysée. Par exemple, le détachement amorcé de l’enseignement professionnel de l’Éducation nationale au profit du Ministère du Travail est un précédent inquiétant qui montre que l’éducation n’est pas sanctuarisée et qu’elle peut parfaitement être externalisée à un autre ministère.

De même, les déclarations récentes au Figaro où des proches du Président disent vouloir « renationaliser » l’école, « désétatiser » la profession et promouvoir l’autorité font écho à ce qui se passe en Hongrie. Le Pacte est un moyen d’enfoncer un premier coin dans le statut des professeurs et l’actuelle campagne de dénigrement des concours participe à ce travail de sape. Le projet ébauché par Macron est dangereux sur le fond et violent dans la méthode. On ne réforme pas un pays, et encore moins l’éducation, par la « radicalité » ou des « décisions orthogonales ». Si « naufrage » il y a, pour reprendre une expression de l’article du Figaro, c’est celui d’un gouvernement qui n’a pas la maturité suffisante pour être en capacité de proposer un dialogue social respectueux de chacun et d’entendre la voix des représentants du terrain.

Une mauvaise réponse au déficit d’enseignant·es

L’attractivité du métier est en berne en Hongrie, en cinq ans, le nombre de postes non pourvus est passé de 7000 à 35000, la profession vieillit et il manque 16 000 enseignant·es dans le pays. Comment s’en étonner ? Pour l’OCDE , la Hongrie est le pays de l’organisation « qui alloue le pire budget à l’éducation ». Les salaires des enseignant·es est parmi les plus bas d’Europe, entre 500 et 1000€ par mois les obligeant à cumuler un deuxième ou un troisième emploi malgré des conditions de travail déjà difficiles. La nouvelle réforme, en précarisant le métier, en alourdissant une charge de travail déjà importante et en mettant les collègues sous surveillance, ne poussera pas les étudiants à embrasser la carrière de professeur, pire elle devrait pousser 5000 collègues à démissionner.

Sur insistance de la Commission Européenne, les enseignant·es hongrois·es ont été consulté mais aucune de leur proposition n’a été retenue dans la rédaction de la loi. Dommage, car nous les professionnels de terrain nous avons des revendications, bien différentes, pour améliorer l’attractivité de nos métiers. Le Comité Syndical Européen de l’Éducation (CSEE) en a d’ailleurs fait une campagne autour de 10 demandes clés. De même, l’Internationale de l’Éducation (IE) mène actuellement une campagne mondiale intitulée La force du public: Ensemble, on fait École pour inciter les gouvernements du monde entier à investir massivement dans une éducation publique de qualité.

Coopération syndicale entre le SNES-FSU et le PSZ

Beaucoup ne le savent pas mais il faut rappeler que 1 % du montant des cotisations au SNES-FSU est reversé à un fond de coopération syndicale. Ce dernier nous permet de financer des actions auprès d’organisations partenaires. Depuis 2019, le SNES-FSU et le PSZ-SEH, plus grand syndicat enseignant de Hongrie, travaillent ensemble à la formation de dirigeants syndicaux, notamment en direction des jeunes.

Pour reprendre une expression de la directrice européenne du CSEE, Susan Flocken, dans une lettre envoyée au président Orbán, cette loi est une « gifle au visage des travailleurs de l’éducation » de la part d’un gouvernement qui ne reconnaît pas les droits de ces derniers. Le SNES-FSU s’associe au CSEE dans son expression de solidarité envers nos collègues hongrois·es dans leur lutte pour la révision de cette loi ainsi que dans leur demande de renforcement des droits syndicaux. Le gouvernement de Viktor Orbán doit comprendre que l’investissement dans l’éducation publique et le soutien à la profession d’enseignant·e, est fondamental pour la société hongroise et les générations futures.

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