Une campagne de vaccination en marge de l’UE
Le premier ministre Viktor Orban l’a fièrement annoncé le 14 avril : « désormais plus de trois millions de Hongrois sont vaccinés !» (sur une population de moins de 9,8 millions d’habitants). Avec environ 35 % de la population vaccinée, la Hongrie, – avec la Serbie et le Royaume-Uni- , affiche le taux de vaccination le plus élevé du continent européen, si l’on excepte des entités beaucoup moins peuplées comme Gibraltar. Elle est même le pays le plus vacciné de l’Union européenne.
Cependant la stratégie vaccinale a été très particulière et peu respectueuse des accords européens en la matière : le gouvernement a rapidement décidé en février de commander des vaccins russes et chinois, avant même l’agrément de l’agence européenne en charge de valider les vaccins. Puis il s’est déclaré ouverts au vaccin indien covishield (version indienne de l’astrazeneca). Pour ce qui est des vaccins chinois et indien, il s’agit plus en réalité d’effets d’annonce destinés à affirmer l’indépendance du pays à l’égard des décisions européennes car les livraisons de ces vaccins n’ont pas commencé. En revanche, la vaccination au Spoutnik V, le vaccin russe, a bien démarré. Dans un premier temps la méfiance de la population à l’encontre du vaccin russe était grande et beaucoup de Hongrois préféraient l’immunité supposée meilleure des vaccins par ARN messager américains (Pfizer et Moderna). Mais peu à peu, la stratégie du gouvernement a convaincu : devant les grandes difficultés d’approvisionnement de l’Union européenne, le premier ministre ultra-nationaliste n’était pas fâché de démontrer qu’en multipliant les sources et en se passant de l’aval européen, il gagnait en efficacité. Cependant nul ne sait si les vaccins chinois attendus arriveront rapidement et surtout si leur couverture est efficace : les deux vaccins chinois n’ont en effet pas encore publié les résultats de leur phase III d’essais cliniques. De plus, l’un d’entre eux, le sinopharm, a été négocié par le gouvernement hongrois à un prix jugé comme très excessif : plus de 30 dollars la dose alors que le même vaccin est vendu une quinzaine de dollars dans les pays d’Afrique. Ceci a fait naître des soupçons de corruption que la presse hongroise, principalement aux ordres du gouvernement, a peu relayé.
Quant à nos collègues enseignants, ils déplorent, comme Tamas Totyik, vice-président du PSz, que « personne ne peut choisir le vaccin qu’il veut. Certains refusent le vaccin chinois, et donc ils seront vaccinés plus tard ».
Une réouverture prématurée des écoles ?
Les écoles hongroises ont donc rouvert le 19 avril. Pour beaucoup d’enseignants, cette réouverture des écoles élémentaires et des maternelles semble prématurée, voire dangereuse.
« La vaccination des enseignants a commencé début avril, mais leur immunité n’est pas encore assurée. La deuxième dose de vaccin n’est pas encore administrée pour la majorité des enseignants. » nous dit Tamas Totyik. De plus, les contaminations sont importantes au sein des classes d’âge les plus jeunes : « Actuellement 30 élèves de moins de 14 ans sont hospitalisés, infectés par la COVID 19 ». Cette reprise est partielle car « les parents ont le droit de garder leurs enfants à la maison mais il n’y a pas d’enseignement en ligne pour eux. Ce sont plutôt les parents qualifiés qui ont préféré garder leurs enfants à la maison », ce qui accentue les inégalités.
Pour ce qui est du second degré, les collèges rouvriront bientôt et « les lycées n’ouvriront qu’après le baccalauréat. En attendant il y a un enseignement à distance. Au baccalauréat il n’y aura qu’un examen écrit, comme l’année passée ».
En Hongrie comme dans le reste de l’Europe, c’est le variant anglais qui a pris l’ascendant et qui affecte donc beaucoup plus les jeunes et les enfants qui le transmettent. Aucun enfant n’a été vacciné et la crainte d’un rebond épidémique, peu après la reprise dans les écoles, est grande.
Or, la situation épidémiologique est inquiétante : les contaminations sont en forte hausse et le pays répertorie actuellement presque 300 morts par jour, c’est à dire autant qu’en France dans un pays 6 à 7 fois moins peuplé. Avec la République tchèque, la Hongrie a le bilan le plus lourd d’Europe rapporté à sa population : 245 morts pour 100 000 habitants (146 en France). Bien plus qu’au Brésil ou aux États-Unis. Cette situation a affecté gravement le système hospitalier qui est au bord de la rupture. L’Ordre des médecins a récemment indiqué que les personnels de santé sont en nombre insuffisant pour faire face. Des étudiants en médecine ont été mobilisés et certains hôpitaux ont fait appel à des volontaires non formés. La plupart des opérations ont été déprogrammées et le matériel des salles d’opération a été redirigé vers les unités covid. La pandémie a durement mis en évidence le sous-financement du système de santé hongrois sous le règne du FIDESZ, le parti ultra-conservateur de Viktor Orban au pouvoir depuis plus d’une décennie.
La position des enseignants
Le PSz, principal syndicat enseignant, était opposé à la reprise le 19 avril. Son vice-président déclare : «Le PSZ exige le respect du confinement, de la distanciation en classe, en utilisant les salles de classes des lycéens aussi » (qui ne reprennent pas en présentiel). « Il demande le paiement des heures de travail supplémentaires des enseignants et des personnels. Le PSz a aussi demandé aux parents de ne pas envoyer leurs enfants à la maternelle et conseillé aux éducateurs de passer le plus de temps possible en plein air avec les enfants en maternelle ».
Le PSz regrette que le gouvernement n’ait nullement tenu compte de l’enquête qu’il avait réalisée de façon très encadrée auprès de quelque 10 000 enseignants hongrois (un institut de sondage reconnu avait corrigé les biais et veillé au caractère scientifique des résultats publiés). Le questionnaire était à renseigner en ligne du 5 au 11 avril derniers. Jusqu’au 9 avril, le gouvernement était resté sur le scenario d’une réouverture complète du système scolaire, de la maternelle au lycée. Les réponses des enseignants ont été sans ambiguïté : 87 % des enseignants interrogés rejetaient le plan gouvernemental de reprise, 7 % l’approuvaient et 5 % ne se prononçaient pas. L’enquête présentait des scenarii alternatifs : reprise uniquement quand le taux d’incidence du virus serait inférieur à 100 pour 100 000 habitants (approuvé à 49%). Seuls 27 % des enseignants souhaitaient une reprise du second degré la deuxième semaine de mai. Et 30 % souhaitaient une fermeture de tous les niveaux d’enseignement jusqu’à la fin de l’année scolaire. L’enquête montrait aussi que le soutien à une reprise rapide dépendait de l’accès à la vaccination, de la capacité à utiliser les outils numériques dans l’enseignement à distance, des risques de décrochage des élèves et du « moral » de chaque enseignant. Les enseignants étaient aussi interrogés sur leur réaction en cas d’obligation pour tous de retourner en classe fin avril : 56 % affirmaient qu’ils se plieraient aux consignes du gouvernement, mais 21 % affirmaient qu’ils continueraient l’enseignement à distance et 20 % qu’ils se déroberaient à toute obligation en bénéficiant d’un arrêt-maladie ou en refusant la reprise. Chiffre étonnamment élevé dans un pays où les enseignants n’ont pas pour tradition de se confronter brutalement à leur administration.
Si le gouvernement n’a pas officiellement tenu compte de l’enquête, on peut tout de même remarquer qu’en choisissant finalement de ne pas rouvrir le second degré, il a anticipé une « fronde » des enseignants de lycées qui étaient 46 % seulement à déclarer qu’ils reprendraient le travail, alors que ceux du premier degré étaient 60 %. Pour le PSz, c’est aussi la capacité à organiser, ou non, un véritable enseignement en ligne qui déterminé le positionnement des enseignants : ceux du premier degré savaient que ce type d’enseignement était illusoire en-deçà d’un certain âge.
Enfin, l’enquête a permis aux enseignants de suggérer des solutions d’amélioration de la reprise : faire cours en plein air, contrôler la température des élèves avant chaque entrée en classe, utiliser des capteurs de CO2.
Ainsi, il apparaissait clairement que la majorité des enseignants craignait la reprise et disait se sentir en situation d’insécurité sur le lieu de travail. Plus nombreux encore étaient ceux (72 % en lycée) qui pensaient que leurs élèves se trouveraient en insécurité. Le titre de l’enquête était donc bien approprié: Une reprise à marche forcée.
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