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La dictature bélarusse dans la tourmente après l’invasion russe de l’Ukraine

L’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février dernier, et la résistance aussi forte qu’inattendue du peuple ukrainien a placé le régime bélarusse dans une position difficile. Depuis de nombreuses années, la dictature de Loukachenko est soutenue par le Kremlin qui voit en elle l’opportunité de maintenir une forte influence sur un territoire peu peuplé ( 9 millions d’habitants) mais assez vaste à l’ouest de la Russie. La répression brutale de tout mouvement démocratique sert aussi d’exemple du côté russe : maintenir un régime autocratique à Minsk, comme dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, permet de desserrer l’étau démocratique perçu par Moscou comme une sérieuse menace.

Aussi, lorsque les troupes russes ont utilisé le territoire bélarusse pour entrer en Ukraine, lorsque des raids aériens russes ainsi que des tirs d’artillerie de longue portée sont partis du Bélarus, le pays s’est trouve de facto dans une situation de quasi co-belligérance, aux côtés de l’armée russe. Cependant, pressé par Moscou d’apporter une aide militaire effective par l’envoi de troupes en Ukraine, le président Loukachenko s’est gardé jusqu’à présent de céder à cette injonction. Sans doute pour plusieurs raisons : le souci de préserver son pays de pertes militaires importantes qui rendraient le régime encore plus impopulaire, la crainte d’un « bourbier ukrainien » et peut-être la peur de dégarnir son territoire de forces militaires largement utilisées pour réprimer toute tentative d’opposition.

Cette prudence du pouvoir bélarusse, que d’aucuns qualifient de duplicité, n’est pas nouvelle : en 2014, lors de la première crise ukrainienne, Loukachenko avait fait mine de de soutenir le président ukrainien Porochenko et non Moscou. Cependant, la réalité d’une économie tenue à bout de bras par la Russie a vite rattrapé le régime. Depuis sa réélection contestée de 2020, Loukachenko s’est fortement rapproché de Vladimir Poutine ; l’opposition bélarusse considère aujourd’hui qu’un lien de vassalité s’est instauré entre les deux régimes.

Un mouvement anti-guerre qui pourrait mettre en difficulté le pouvoir

Même s’il fait montre d’une certaine prudence, le régime bélarusse satisfait les principales demandes russes depuis le début de la guerre en Ukraine : libre passage des forces russes sur son territoire, déploiement de missiles nucléaires russes autorisé après une parodie de referendum, et depuis quelques jours redéploiement des forces russes du nord vers l’est de l’Ukraine en traversant à nouveau le territoire bélarusse.

Mais la population, au risque de nouvelles et brutales arrestations, a manifesté son opposition à la guerre et à l’envoi de troupes aux côtés de l’armée russe. Plus de 900 personnes ont été arrêtées. L’opposition politique, depuis l’étranger, a condamné l’invasion russe et appelé l’armée bélarusse à ne pas participer aux opérations militaires.

Le 19 mars dernier, des lignes de chemin de fer qui mènent vers le nord de l’Ukraine et qui permettaient à l’armée russe d’acheminer du matériel, ont été sabotées. L’action a été revendiquée par des « Bélarusses honnêtes » et a largement perturbé le trafic ferroviaire pendant plusieurs jours.

Il semble qu’une sorte de résistance civique se mette en place ; ceux qui l’animent prennent de grands risques. Selon le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, de 37 à 40 000 personnes auraient été détenues dans les prisons bélarusses depuis mai 2020 pour des raisons politiques. Si beaucoup de personnes ont été relâchées c’est souvent après avoir été torturées, violées et/ou subi des menaces sur leur famille. Plus d’un milliers de prisonniers politiques resteraient aujourd’hui en prison, toujours selon l’ONU.

Une prise de position courageuse du président du Congrès des syndicats libres

Dans ce contexte la prise de position d’Alexandre Yarachouk, président du BKDP, est particulièrement courageuse. Dans une adresse au peuple biélorusse du 29 mars 2022, il a très clairement condamné l’invasion russe : « la guerre de la Russie contre l’Ukraine dure depuis plus d’un mois. Dès le début de la guerre, le Bélarus s’est rangé du côté de la Russie. Ses troupes entrent en Ukraine depuis notre territoire, des roquettes sont lancées, des avions décollent. Et plus le Bélarus s’implique dans la guerre, plus sa participation à l’agression détruit des infrastructures et des logements, tue des civils ukrainiens, des femmes, des personnes âgées et des enfants, plus les sanctions de la communauté internationale s’alourdissent à son encontre ».

Il a aussi alerté sur les conséquences économiques et sociales de la guerre et des sanctions internationales auquel le pays est soumis tout comme la Russie. « Nous commençons à ressentir les effets [des sanctions]. Les prix augmentent, les entreprises ferment ou recourent au temps partiel et les salaires baissent ». Il ajoute que la dégradation de l’économie du pays « s’accompagnera d’un chômage endémique, de salaires extrêmement bas, de la pauvreté et de l’existence misérable de la population ».

Il refuse que le Bélarus soit associé à une guerre injuste : « le nom de notre pays, les noms de nos villages et de nos villes ne doivent pas incarner la menace et le danger pour le peuple de l’Ukraine voisine, un pays frère. Ne doivent pas incarner la mort ». Et ajoute : « La guerre de la Russie en Ukraine n’est pas notre guerre. Nous pouvons l’arrêter, nous devons l’arrêter […] Nos descendants ne nous pardonneront pas le silence au moment le plus critique de notre histoire ! N’ayez peur de rien ni de personne ! Il est difficile d’imaginer pire que ce qui nous arrive aujourd’hui. Jamais et nulle part au monde la demande de mettre fin à la guerre n’a été un crime ! Et jamais et nulle part au monde il n’y a eu de cause plus noble que de s’opposer à la guerre, contre le meurtre d’innocents, de femmes, de personnes âgées et d’enfants ! ». Il demande solennellement que « le Bélarus refuse d’envoyer ses troupes en Ukraine et exige le retrait des troupes russes de son territoire ».

Il termine cette adresse au peuple bélarusse en appelant à la mobilisation : « Exigez sur vos lieux de travail, au nom des collectifs de travail : non à la guerre, non à la participation du Bélarus à celle-ci ! Exigez l’interdiction d’envoyer des troupes bélarusses en Ukraine, exigez le retrait des troupes russes de notre pays ! Faisons-le maintenant, faisons-le aujourd’hui ! Parce que demain, il sera trop tard ! Parce qu’il n’y aura peut-être pas de lendemain pour les Bélarusses ! ».

Pour lire le texte complet de l’adresse d’Alexandre Yarachouk au peuple bélarusse, c’est ici:

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