Inquiétude sur les rives de l’Oyapock
En Guyane française, l’épidémie de covid-19 n’a touché, au 20 mai 2020, que peu de personnes : 237 cas avérés pour 12 hospitalisations et 1 décès. Le dé-confinement s’effectue sans heurts depuis le 11 mai. Cependant, une zone suscite l’inquiétude : la rive ouest de l’Oyapock, entre la petite ville de Saint-Georges et le village de Camopi. C’est là que sont enregistrés plus du quart des cas guyanais, pour une population très réduite. C’est sans doute que le voisinage de la ville brésilienne d’Oiapoque joue, avec 27 000 habitants, plus de 150 cas confirmés et un décès (mais ces chiffres officiels sont sans doute très sous-estimés). L’État de l’Amapà, dans son ensemble est très touché par l’épidémie, il compte 142 morts officiels et sans doute le double dans la réalité, pour plus de 5000 cas confirmés. Or, le fleuve Oyapock ne forme une frontière que sur la carte : si cette frontière est officiellement fermée il est impossible de la contrôler et le brassage des populations de part et d’autre du fleuve est nécessaire à leur survie sur les plans économique, sanitaire, voire, scolaire. Les produits de consommation courante étant nettement moins chers et plus nombreux du côté brésilien, les populations de la rive française vont s’approvisionner du côté brésilien, tandis que les salaires, le système de santé et d’enseignement étant meilleurs du côté français, beaucoup de Brésiliens séjournent régulièrement et souvent clandestinement du côté français. Le virus a donc logiquement circulé avec les femmes et les hommes, et le Premier Ministre Édouard Philippe lui-même a dû reconnaître devant l’Assemblée nationale le 19 mai dernier que « la situation est sérieuse à Saint-Georges de l’Oyapock « et a avoué « la difficulté de la tâche sur une frontière aussi vaste, aussi poreuse, compte tenu de la situation sanitaire de l’autre côté de la frontière dont tout indique qu’elle est extrêmement sérieuse ». La décision a donc été prise de ne pas dé-confiner la zone qui, aujourd’hui encore, reste confinée, soumise à un couvre-feu de 23h à 5h du matin, avec interdiction de vente d’alcool en soirée. Si l’accostage de pirogues brésiliennes est bien interdit à Saint-Georges, le fleuve navigable sur 300 km de long est parfaitement incontrôlable. Une note de la cellule interministérielle révélait fin avril une recrudescence des tentatives de traversée du fleuve. De plus, le confinement est difficile à faire respecter, dans des maisons en tôle ou en bois très précaires, souvent sans eau courante, où vivent des familles nombreuses, des deux côtés du fleuve. Du côté brésilien, et malgré l’opposition du président Bolsonaro à toute mesure de confinement, le gouverneur de l’État de l’Amapà, devant le gravité de la crise sanitaire a décidé de prolonger le confinement jusqu’à la fin du mois de mai. L’hôpital de Macapà, la capitale de l’Amapà à une dizaine d’heures de bus de la frontière, est débordé ; il semble que beaucoup de communautés autochtones vivant dans des zones isolées soient touchées mais peu parviendraient à venir se faire soigner en ville.
Solidarité syndicale à travers les frontières
Mais les populations ne baissent pas les bras et l’intersyndicale FSU-SUD-SINDUFAP-CNTE appelle aujourd’hui à plus de solidarité entre les territoires. Cette intersyndicale a été créée l’an dernier à l’occasion des manifestations contre la réforme de l’enseignement du gouvernement Bolsonaro et regroupe des syndicats guyanais et brésiliens de l’éducation. L’intersyndicale a publié le 18 mai 2020 un manifeste qui proclame que « la maladie n’a ni frontière ni nationalité » et demande de maximiser la coopération sanitaire entre la Guyane et l’Amapà.
Sydney Lobato, du SINDUFAP (syndicat de l’enseignement supérieur de l’Amapà) déclare :
« Les places manquent, à Oiapoque, pour les malades Covid-19 graves. Ils doivent être transférés à Macapá où les lits de réanimation sont occupés à plus de 90 %. Nos structures sont quasiment à saturation à Macapá et il y a un manque de transparence. Ainsi, plus d’une centaine de personnes sont officiellement décédées du Covid-19 dans l’Amapá mais il est probable qu’en réalité ce soit le double. Le dépistage est souvent réalisé quand le malade meurt et comme les laboratoires sont débordés, obtenir le résultat prend beaucoup de temps. » Militant du SNES-FSU, Samuel Tracol, voudrait que les hôpitaux guyanais s’ouvrent aux malades brésiliens « Des collectifs de médecins, français comme brésiliens, et des politiques l’ont déjà demandé. Du côté guyanais, on a un hôpital qui n’est pas surchargé et qui a le matériel».
Une continuité pédagogique impossible
L’intersyndicale alerte aussi sur le creusement des inégalités lié à la fermeture des écoles, collèges et lycées de la zone. L’enseignement à distance est un leurre là où il n’y a ni électricité en continu, ni connexion internet facile, ni équipement suffisant des élèves. Samuel Tracol précise : « Quant à la continuité pédagogique, dans les communes de l’intérieur, c’est simple il n’y en a pas. L’accès internet est quasi nul, en période Covid comme hors Covid. ». Il poursuit, abordant la fin de l’année universitaire : « de nombreux étudiants sont rentrés se confiner en famille. Pas de contact avec eux malgré des tentatives louables mais limitées de l’université de Cayenne de faire parvenir des kits Wifi. » Le sous-équipement informatique des familles est d’ailleurs général dans toute la région, que ce soit sur les côtes guyanaises ou dans les villes brésiliennes de l’Amapà.
Le sentiment d’être laissé pour compte domine enfin, chez les militants syndicaux : « Comme d’habitude, nos territoires aux confins des centres de la médiatisation et aux arrières des enjeux économiques sont vite oubliés » peut-on lire dans le communiqué intersyndical. Le SNES-FSU, par sa section académique de Guyane et par le secteur international en lien avec les acteurs syndicaux brésiliens n’oublie en rien ces territoires où se manifeste, sur le terrain, une vraie solidarité internationale.
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