La télévision vous ment, non à la guerre" affiché sur une porte dans une ville russe

« La télévision vous ment, non à la guerre! », affiche sur une porte d’une ville russe

Beaucoup de réactions individuelles

Dès le 24 février, jour de l’offensive russe sur l’Ukraine, des intellectuels russes ont réagi, comme la très célèbre écrivaine Loudmila Oulitskaïa qui a immédiatement publié un texte condamnant la guerre, n’épargnant aucunement le président russe : « le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme et de ses complices dévoués. De la douleur, de la peur, de la honte – voilà les sentiments que l’on éprouve aujourd’hui» écrit-elle. Mais elle n’exonère pas le peuple russe de ses responsabilités : « cette responsabilité, nous la partageons tous nous aussi, qui sommes contemporains de ces événements dramatiques et qui n’avons pas su les prévoir ni les arrêter ».

Le monde du théâtre a été aussi particulièrement impliqué. La directrice du théâtre d’État et centre culturel Meyerhold, l’un des plus prestigieux de Moscou, Elena Kovalskaïa, a démissionné et déclaré sans ambages : « je ne peux pas travailler pour un meurtrier et être payée ». Le directeur du théâtre Maïakovski, Mindaugas Karbauskis, ainsi que le directeur du théâtre Vakhtangov, Rimas Tuminas, ont démissionné de leurs fonctions. Marina Daridova, qui dirige une célèbre revue consacrée à la scène dramatique, a appelé le monde du théâtre à s’élever contre la politique de Vladimir Poutine et à signer une pétition la condamnant. « Nous considérons l’Ukraine comme un État indépendant. Nous ne voulons pas que la Russie devienne un pays paria ! Nous croyons qu’aucun conflit ou problème au 21e siècle peut être résolu avec des tanks, des artilleries et des infanteries. Nous voulons que cesse immédiatement le bain de sang ! » a-t-elle écrit dès le 25 février.

Beaucoup de réactions aussi dans le monde de la danse et de la musique : le Français Laurent Hilaire, directeur de la troupe de ballet du théâtre Stanislavski de Moscou, a démissionné de ses fonctions le 27 février et s’apprête à rentrer en France. Déjà, il y a un an, le violoniste Misha Nodelman, avait dénoncé la « politique de terreur » du pouvoir russe. Les pianistes Alexandre Melnikov et Evguéni Kissine ont exprimé leur émotion et leur condamnation de la guerre, mais ils vivent à l’étranger. Le chef Valery Gerguiev a refusé de prendre position. En tournée à Milan, et connu pour sa proximité avec Vladimir Poutine, il a été récemment contesté par le public italien.

Et des démarches collectives

Le 25 février, 664 chercheurs et scientifiques russes ont publié un appel exprimant une « protestation énergique contre les actes de guerre lancés par les forces armées de [leur] pays sur le territoire de l’Ukraine ». Ils affirment que « cette décision fatale causera la mort d’un très grand nombre de gens. Elle sape les fondements du système de sécurité collective. La responsabilité du déclenchement de cette nouvelle guerre en Europe incombe entièrement à la Russie. » Et ils s’inquiètent des répercussions sur le monde de la recherche : « nous sommes convaincus que tous les problèmes entre nos deux pays peuvent être résolus de manière pacifique. En déclenchant la guerre, la Russie s’est condamnée à l’isolement sur la scène internationale et à un destin de pays paria. Cela signifie que nous, les chercheurs, ne pourrons désormais plus faire nos recherches normalement, tant il est vrai que l’avancement des recherches scientifiques est impensable sans coopération approfondie avec les collègues des autres pays ». Parmi les signataires de cet appel figurent de très grands scientifiques comme le mathématicien Viktor Vassiliev, le physicien Kostya Novoselov (lauréat du prix Nobel en 2010, qui vit à l’étranger) ainsi que des linguistes et philologues.

Une pétition lancée par le Congrès des intellectuels russes avait recueilli plus de 5000 signatures dès le début du mois de février, avant même le déclenchement de la guerre, elle dénonçait la politique belliciste de Vladimir Poutine. Des écrivains, des artistes et des journalistes l’ont signée, ainsi que des universitaires, au risque de perdre leur poste.

Dans le monde des universités, les étudiants s’engagent aussi : non seulement ils sont nombreux à participer aux manifestations quotidiennes contre la guerre depuis le 24 février, mais ils ont aussi parfois lancé des pétitions comme ces étudiants triés sur le volet du MGIMO ( l’Institut d’État des relations internationales, formant de futurs diplomates). Ils ont fait circuler une pétition qui a eu beaucoup d’écho, dans laquelle ils écrivaient : «  Il est moralement inacceptable de nous taire alors que des gens meurent dans le pays voisin ».

La répression s’accentue

Exprimer une opinion divergente du pouvoir n’était déjà pas chose facile avant la guerre d’Ukraine. Pour preuve le contrôle total de la télévision par le pouvoir et l’existence de seulement deux ou trois journaux indépendants. Surtout, la police et la justice exerçaient déjà des moyens de pression considérables sur les opposants, traquant leurs prétendus liens financiers avec l’étranger : toute subvention venant de l’extérieur de la Russie pouvait aboutir à une condamnation depuis décembre 2020. C’est ainsi que l’association Mémorial, attachée à faire toute la lumière sur la répression de l’époque soviétique, a été étranglée et finalement dissoute par la Cour suprême russe en décembre 2021, au motif que l’association créait « une vision mensongère de l’Union soviétique » et qu’elle recevait des financements étrangers. Un autre moyen de pression, pour ceux qui travaillaient dans des institutions de l’État, était les allégations de détournement de fonds publics dont, par exemple, a été victime le metteur en scène et cinéaste Kirill Serebrennikov, assigné à résidence pendant plusieurs années.

Depuis le 24 février, l’étau s’est resserré. La radio indépendante Ekho Moskvy qui s’était aventurée à utiliser le mot de guerre pour qualifier ce que le gouvernement continue d’appeler une opération de pacification a été privée de signal et ne peut plus émettre. Seul le quotidien Novaïa Gazeta continue de manifester son indépendance, en évoquant la mort de civils, cependant il n’utilise pas le mot « guerre » dans ses articles mais l’expression « hostilités » et « offensive ».

Le Conseil de la Fédération de Russie (équivalent du sénat) devrait examiner de nouvelles dispositions législatives permettant d’établir la loi martiale. Ceci imposerait la censure militaire sur tous les médias, mettrait fin à toute possibilité de manifestations et autoriserait les forces de l’ordre et la justice à dissoudre toute organisation ou à arrêter toute personne « portant atteinte à la sécurité du pays ». Le 4 mars, la Douma (assemblée) a voté une loi punissant de peines de prison très sévères et d’amendes élevées toute personne publiant des « informations mensongères » sur l’armée et le conflit en Ukraine. le même jour, les locaux de l’association Mémorial étaient soumis à perquisition judiciaire.

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