Un pouvoir qui avait perdu beaucoup de sa légitimité
Le président Kaboré avait été élu en 2015 et était le premier président civil issu d’un scrutin démocratique depuis des décennies au Burkina Faso, pays qui a vu se succéder plusieurs régimes militaires révolutionnaires (Thomas Sankara 1983-1987) ou conservateurs ( Sangoulé Lamizana 1966-1980, Blaise Compraoré 1987-2014).
Mais la multiplication des attentats terroristes depuis 2016, les faibles possibilités de riposte de l’armée nationale, le scepticisme puis la contestation à l’encontre de l’intervention militaire française dans la région et une corruption endémique ont eu raison de sa popularité. Ce sont surtout les conditions de sécurité très dégradées et le nombre important de victimes civiles et militaires qui ont compté. Anatole Zongo, du SNESS, syndicat de l’éducation, le souligne : « le peuple en avait assez de compter ses morts du fait des actes terroristes. Environ 2500 morts dont 500 forces de défense et de sécurité( gendarmes, policiers, volontaires de défense de la patrie, militaires) sous le pouvoir du président Roch Marc Christian Kaboré. A cela, il faut ajouter les personnes déplacées internes fuyant les attaques terroristes, plus d’un million et demi » (pour une population de 21 millions d’habitants). En novembre dernier, l’attentat d’Inata, dans le nord du pays, avait été revendiqué par Ansaroul Islam (proche d’Al Qaïda), tué 53 gendarmes et scandalisé la population. Des appels à un changement rapide de régime, voire à un coup d’État militaire avaient alors retenti. Et quelques jours plus tard un autre attaque terroriste avait fait 19 morts dont 9 gendarmes dans le centre-nord, à Foubé.
Au lendemain du coup d’État des 23 et 24 janvier, l’UAS (Unité d’Action Syndicale formée des 6 centrales syndicales du pays et de 17 syndicats autonomes) affirme dans son communiqué du 26 janvier : « le régime du Président Roch Marc Christian Kaboré assume une responsabilité évidente dans la survenue de ce coup d’État. En effet, la gestion du pouvoir est restée marquée par une mauvaise gouvernance à la fois politique, économique et sécuritaire».
Une population très éprouvée par l’insécurité et les déplacements internes
La situation est variable selon les provinces, mais la caractéristique des derniers mois a été la capacité d’action très étendue des groupes terroristes qui ont frappé en divers lieux et la très grande faiblesse de l’armée nationale, mal approvisionnée et mal entraînée. Le nord du pays n’est plus contrôlé par le pouvoir central, certains parlent de « no man’s land ».
La menace terroriste ou le simple grand banditisme ont conduit de très nombreuses populations à l’exil forcé vers les centres urbains et particulièrement vers la capitale. Selon Anatole Zongo : « plus d’un million et demi de personnes déplacées vivent dans un dénuement total. Plus de 2 900 écoles ont fermé touchant environ 511 000 élèves et 14 000 enseignantes et enseignants ». Interrogé par Le Monde le 20 novembre dernier, Marcel Tankoano, cadre d’un mouvement d’opposition, évoquait lui « 4000 écoles fermées » . Si les enseignants ont été redéployés dans des zones mieux sécurisées pour la plupart, d’autres n’ont pas été réaffectés. Certains ont été victimes du terrorisme : pour les djihadistes ils représentent « la culture de l’homme blanc » explique Anatole Zongo, et les djihadistes « détestent l’école moderne ».
L’exil intérieur a fortement contribué à la déscolarisation de milliers d’enfants, comme le soulignait un rapport de l’UNICEF en 2019 (voir notre article du 21 juin 2021 : https://international.blog.snes.edu/monde/afrique/insecurite-et-descolarisation-au-sahel/). Anatole Zongo le confirme : « les élèves les plus chanceux bénéficient de salles de classes de fortune rapidement confectionnées pour poursuivre les apprentissages, même si c’est au rabais; les autres sont dans la nature ». A cela s’ajoute l’appauvrissement des familles déplacées, qui pousse beaucoup d’enfants vers le travail informel.
Un coup d’État presque attendu…
Nul n’a donc été surpris lorsque le 23 janvier, des éléments de l’armée sortirent de leurs casernes à la fois à Ouagadougou et dans les villes de provinces et firent mine de s’emparer de quelques bâtiments stratégiques : ministères ou bâtiments de la radio-télévision nationale. Si le pouvoir niait dans un premier temps l’existence d’un coup d’État et prétendait contrôler la situation, il apparut rapidement que le président Kaboré était prisonnier des putschistes qui, le 24 janvier, par une déclaration à la télévision, proclamèrent sa destitution et la formation d’un gouvernement militaire sous la direction du MPSR (Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration, issu du putsch). Les écoles ont été fermées pour une semaine et les frontières le sont « jusqu’à nouvel ordre ».
Le coup d’État a été assez mollement condamné par la communauté internationale et Paris s’est soucié de la liberté d’action du président déchu, Emmanuel Macron exigeant sa libération. Mais les syndicalistes de l’UAS ne souhaitent pas absoudre le président Kaboré, pour eux le précédent régime a montré son « incapacité à garantir aux populations leur droit à la sécurité et à une existence digne » et a vu « le développement à grande échelle de la corruption encouragée par une impunité totale, la remise en cause des libertés démocratiques et syndicales notamment la liberté de manifester, le droit à l’information et la liberté d’expression ».
… mais qui suscite des inquiétudes
La population burkinabé soutient-elle le putsch ? C’est difficile à dire, même si des manifestations de joie ont salué l’arrivée au pouvoir des militaires dans certains quartiers pauvres de la capitale. Le 26 janvier, un mouvement constitué de partis politiques et d’organisations de la société civile a proclamé son soutien aux putschistes du MSPR.
Le 27 janvier, dans sa première « adresse à la Nation », Paul Henri Damiba, le chef des putschistes qui s’est autoproclamé chef de l’État, a indiqué qu’un « retour à une vie constitutionnelle normale » serait possible « lorsque les conditions seront réunies selon les échéances que notre peuple aura souverainement définies », ce qui demeure bien vague. Il s’est engagé à ce que le nouveau régime respecte « les droits de l’homme et l’indépendance de la justice.
L’UAS, quant à elle, met en garde le nouveau pouvoir: « l’UAS rappelle son opposition de principe aux coups d’État. Elle réaffirme cette position et exprime son ferme attachement au respect des libertés démocratiques et syndicales, à la sauvegarde des acquis des travailleurs, au respect du droit à la vie et à la sécurité des populations ». Les représentants des principales centrales syndicales invitent « l’ensemble des travailleuses et travailleurs à rester vigilants par rapport à toute velléité de maintien des textes et pratiques liberticides et à toute tentative de remise en cause des conquêtes démocratiques et sociales. A cet effet, ils doivent renforcer leurs organisations, se mobiliser pour poursuivre la lutte en vue de la défense conséquente de leurs droits ».
Pour le moment les syndicalistes contactés sur place ne se sentent pas menacés, ils sont libres de leurs mouvements et de leurs déclarations. Mais à l’image d’ Anatole Zongo, du SNESS, ils sont circonspects. Ce dernier conclut : « en réalité, nous ne savons pas s’il faut applaudir ou regretter une telle situation. Un coup d’État n’est jamais une bonne chose car il sape les acquis de la démocratie mais que faire face aux actes terroristes qui endeuillent quotidiennement les populations et quand le bout du tunnel n’est pas visible? Si la question sécuritaire est maîtrisée, cela va soulager out un peuple. Les syndicats vont observer ce régime et agir par la suite en cas de nécessité ».
Vous trouverez ici des informations sur les actions de coopération avec les syndicats d’autres pays, les analyses et réflexions du SNES-FSU sur l’actualité internationale, des comptes-rendu d’instances internationales dans lesquelles siège le SNES-FSU. Des remarques, des questions ?
Contactez nous : internat@snes.edu