Comment enseigner en situation de pandémie ?

Dans tous les pays de la Francophonie, les écoles et établissements du second degré ont fermé pendant la pandémie, mais la durée de la fermeture a été très variable. Partout, sauf en Haïti, des mesures de « distanciation sociale » ont été appliquées et l’obligation de porter un masque dans les établissements scolaire a été la règle, sauf en Haïti et au Liban. Pour maintenir les écoles ouvertes, certains gouvernements ont déployé des campagnes massives de tests auprès des élèves. Ce fut le cas en Belgique, en France, en Roumanie, à Maurice, au Gabon, au Tchad, mais pas au Congo, au Bénin, au Congo ni en Algérie ou au Togo. La distanciation entre élèves a conduit souvent à répartir les élèves d’une classe en deux groupes qui alternaient leur présence. Dans la plupart des pays, les équipements de sécurité (masques, gel) ont manqué cruellement au début de la pandémie.

La priorité vaccinale accordée aux enseignants a été rare, et ce d’autant plus que les vaccins manquaient aussi dans un premier temps. Actuellement, l’approvisionnement en doses de vaccin est meilleure mais encore insuffisante (en Tunisie par exemple). Les syndicalistes de la FETRASSEIC (Congo-Brazzaville) regrettent que « la désinformation qui a eu lieu sur les réseaux sociaux dans le monde ait impacté beaucoup de Congolais qui refusent de se faire vacciner », dont des enseignants. Au Liban, les enseignants sont loin d’être tous vaccinés. Au Cameroun, certains syndicalistes notent que « les réseaux sociaux ont parasité la campagne gouvernementale et ont imposé dans l’opinion la thèse du complot. Le gouvernement n’a pas voulu impliquer la société civile, les leaders des communautés. Mais il faut dire que les membres du gouvernement et de la haute administration sont tellement mêlés à des scandales que la population ne leur fait plus confiance ».

Dans les pays où la place de l’enseignement privé est importante, beaucoup de petites structures privées ont tout simplement fermé et n’ont plus payé leurs enseignants ; ce fut le cas en Haïti et dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne. C’est aussi dans les pays les plus pauvres que le décrochage des élèves fragiles et particulièrement des jeunes filles a été le plus important. La réouverture des écoles n’a malheureusement fait que confirmer ces phénomènes de déscolarisation. Les syndicalistes déplorent partout de sérieux retards dans les programmes. Ces deux derniers phénomènes ont particulièrement démotivé bon nombre d’enseignants au Cameroun et en République démocratique du Congo. Un seul syndicat tire des enseignements plus positifs de la crise sanitaire : la GTU de Maurice dont les responsables affirment que « les décrochages ont été très rares, grâce aux leçons télévisées et en ligne. On a pu observer plus de solidarité familiale, plus d’attention et de soin pour l’environnement, des activités de jardinage avec le soutien du gouvernement ».

Quelle place et quelle efficacité pour le numérique ?

Les gouvernements ont partout été tentés par le recours au numérique, peu coûteux car il n’a pratiquement pas donné lieu à des investissements supplémentaires, et qui donnait l’illusion d’une « continuité pédagogique » selon l’expression abondamment utilisée par le ministre français de l’Éducation. Que ce soit dans les pays riches ou dans les pays beaucoup plus pauvres les autorités ont prôné l’enseignement à distance.

Un première difficulté a été pour beaucoup d’enseignants de pays pauvres ou intermédiaires, de disposer d’une bonne connexion ou d’un matériel informatique adéquat.

Les syndicalistes de République Démocratique du Congo et du Tchad ont souligné que le coût-même des connexions et leur très médiocre qualité, voire leur caractère aléatoire, ont rendu l’enseignement à distance illusoire, sans compter que les élèves ne disposaient, au mieux, que d’un smartphone dans les zones urbaines et d’aucun moyen de connexion dans les zones rurales. « Au Tchad, explique Jokebed Djikoloum du SET, l’enseignement à distance par le numérique a été un échec, connexion et équipements étaient insuffisants, voire inexistants dans certaines zones ». En Mauritanie, Amadou Tidjane Ba du SNES-M, indique qu’ « à Nouakchott et Nouaddhibou, la connexion est possible mais dans les autres villes elle est très incertaine ou inexistante, donc enseigner à distance a été impossible. »

La question de la formation des enseignants, très inégale dans le domaine numérique, a aussi été évoquée. Même en France, où la CGT-éducation parle de « démerdantiel ». Au Bénin, Appoline Fagla du SNEP (Bénin) indique que 200 enseignants du primaire ont été rapidement formés au numérique, mais il s’agit d’un chiffre dérisoire ramené au nombre d’écoles du pays « cela n’a été qu’une goutte d’eau dans l’océan », si bien que le distanciel s’est souvent résumé à des émissions de radio. Adrian Voica, de la FSLI (Roumanie) a fait remarquer que « beaucoup d’enseignants n’étaient pas préparés à utiliser le numérique » et que « dans le milieu rural, moins formé au numérique, ces méthodes ont découragé beaucoup d’enseignants, les ont démotivés ».

Les syndicalistes francophones sont très circonspects quant à l’efficacité pédagogique du numérique : si la CSQ (Québec) y voit des possibilités pédagogiques nouvelles, le SNES-FSU a dit les limites du recours au numérique en terme d’inter-actions pédagogiques et d’aide aux élèves les plus fragiles. Younès Firachine, du SNE-CDT (Maroc) a fait l’unanimité lorsqu’il a affirmé : « l’école est un espace social et psychique où l’on construit l’être humain, ceci ne peut se faire derrière un écran ». Son syndicat considère que « l’enseignement à distance ne peut être que complémentaire et qu’il faut absolument préserver le présentiel, d’autant plus que le numérique est un grand marché qui s’insinue progressivement dans l’école » au profit d’intérêts privés.

Le CSFEF a été et continuera d’être un lieu de débats pour tous les syndicalistes du monde francophone que la pandémie a durement affecté mais a aussi rapprochés… même si c’est souvent, encore aujourd’hui, par des visioconférences !


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