Un pouvoir contesté
Le président Alpha Condé avait commencé sa présidence en 2010 sous les meilleures auspices. Élu après une très longue période de dictature, cet ancien opposant avait donné l’espoir d’une démocratisation du pays. Dans les années soixante, Alpha Condé, opposant à Sékou Touré, avait terminé ses études à Paris, fréquenté une partie de la gauche intellectuelle et milité à la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France. S’il était rentré en Guinée en 1991, c’était pour affronter le pouvoir de Lansana Conté, qui le fit mettre en prison en 1998.
Élu en 2010 en bénéficiant de l’image d’un homme qui n’avait jamais été ministre et ne s’était compromis avec aucun dirigeant, il a rapidement déçu ceux qui croyaient en une démocratisation du pays. La nouvelle constitution ne permettait qu’un seul renouvellement de mandat, limitant le pouvoir présidentiel à l’exercice de dix années. Or, en 2020, Alpha Condé n’a pas hésité à faire modifier la constitution pour s’autoriser un troisième mandat, ce qui a plongé le pays dans une profonde instabilité politique, une partie de l’opposition ayant fondé un Front national de défense de la constitution qui a appelé à de nombreuses manifestations. Celles-ci ont été durement réprimées, faisant des dizaines de morts. Sur le plan économique, la révision des contrats miniers n’a pas été à la hauteur des espoirs suscités et a plutôt ouvert le pays aux intérêts chinois. Le pays reste riche de ressources dont il ne bénéficie guère.
Le 5 septembre, les forces spéciales qu’Alpha Condé avait créées, dirigées par l’ancien légionnaire des forces françaises Mamady Doumbaya, se sont emparées des lieux de pouvoir et de la personne du président de la République. De nombreux tirs ont été entendus dans le quartier du palais présidentiel mais il ne semble pas qu’il y ait eu de grande résistance du reste de l’armée contre la tentative de putsch. En quelques heures les militaires prenaient donc le pouvoir et diffusaient un message à la télévision.
Une population dans un premier temps circonspecte
Certains quartiers de la capitale ont connu des explosions de joie à l’annonce du coup d’État, des milliers de jeunes à manifestant dans les rues leur soutien aux militaires. Ces quartiers sont connus pour être les bastions de l’opposition au régime d’Alpha Condé. Dans le reste du pays la population est dans l’expectative : ni soutien à l’ancien régime discrédité, ni enthousiasme à l’égard des militaires. A Kankan, en Haute-Guinée, province d’origine de l’ancien président mais aussi du colonel putschiste Doumbaya, les correspondants de presse notent une grande prudence de la population. Dans le Fouta Djalon, province plutôt favorable à l’opposition, la population a salué le départ du gouverneur.
En ce qui concerne le monde enseignant, les syndicats étaient divisés avant le coup d’État entre ceux qui appelaient à une ferme opposition au régime et ceux qui avaient engagé des négociations avec lui, obtenant quelques avantages matériels. Alpha Condé a toujours su habilement jouer des divisions sur la scène politique et sociale. Mais au début de l’été, un bras de fer autour des conditions de passation du baccalauréat s’était engagé entre les syndicats enseignants et le gouvernement, conduisant à des menaces d’arrestation sur le dirigeant de la FSPE, Salifou Camara. Le SNES avait alors apporté son soutien à ce syndicaliste menacé.
La réaction syndicale face est donc contrastée. Le SLECG a immédiatement salué le départ du président Condé. Salifou Camara, secrétaire général de la FSPE était plus circonspect: « la situation reste confuse et la FSPE est en concertation avec sa base pour adopter une position claire. La situation reste compliquée car les putschistes n’ont pas déterminé le temps de la transition jusqu’à l’organisation d’élections ».
Et maintenant ?
Les putschistes ont promis de modifier la constitution après une concertation de tous les partis et de rendre le pouvoir aux civils dès que la situation politique le permettra. C’est hélas un grand classique des coups d’État militaires et l’échéance est bien vague. Si le colonel Doumbaya a bien promis de nommer un gouvernement d’union nationale chargé d’assurer la transition, le remplacement des gouverneurs et préfets civils de province par des militaires a bien commencé le 6 septembre ( à Kankan et à Labé). Les écoles sont restées fermées plusieurs semaines et la situation ne peut pas être qualifiée de « normale ». La FSPE et le SLEG ont rapproché leurs positions et des rencontres intersyndicales récentes ont permis d’adopter une position commune. La FSPE « ne souhaite pas se retrouver prisonnière du jeu politique » selon Salifou Camara.
Les putschistes ont constitué un Comité National pour le Rassemblement et le Développement (CNDR) et reçu tous les partenaires politiques et sociaux. Plusieurs prisonniers politiques ont été libérés, ces premières mesures ont paru positives à l’ensemble de la population. Le président Alpha Condé refuse de signer sa démission et reste aux mains des militaires.
Le 7 septembre les deux grandes centrales syndicales guinéennes, la CNTG et l’UTG, auxquelles sont affiliés le SLECG et la FSPE, ont rédigé une déclaration commune dans laquelle elles constatent que le coup d’État « est la conséquence logique d’une crise majeure » née de la volonté du président Condé de « s’octroyer un 3ème mandat en violation de la constitution qui n’en autorisait que deux successifs »» les centrales syndicales saluent la « volonté exprimée des nouvelles autorités de mettre en place un processus de concertation inclusive » et demandent au CNDR de moraliser l’administration publique et de la « débarrasser du clientélisme et du népotisme », de « revoir le train de vie de l’État », de « favoriser le dialogue social et de rétablir la libre circulation dans tout le pays ». Le 18 septembre le SLECG et la FSPE ont présenté une plate-forme revendicative, demandant l’augmentation des salaires enseignants de 50 %, la revalorisation des primes, la construction de logements pour les enseignants, une réglementation plus stricte de l’enseignement privé, la rénovation du bâti scolaire et la titularisation des nombreux contractuels. L’heure est donc au dialogue et à l’unité syndicale. Nul ne regrette l’ancien pouvoir mais il faudra que le nouveau régime respecte ses promesses d’un retour des militaires dans leurs casernes.
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