Les enseignants victimes de la pandémie
Une situation sanitaire hors de contrôle, des hôpitaux de campagne improvisés dans des gymnases, des cadavres transportés en bus vers les cimetières à São Paulo où l’on ne parvient plus à les acheminer autrement, des enterrements de nuit nécessaires car la journée n’y suffit pas : les nouvelles venues du Brésil, relayées par nos collègues enseignants de la CNTE, sont terribles.
Les cours ont repris de façon inégale car la compétence éducative relève des États et des municipalités. Dans beaucoup de municipalités la rentrée scolaire de février (le Brésil suivant un calendrier austral, l’année scolaire commence en février et se termine en décembre) a été effective, au mépris de la deuxième vague.
Les enseignants paient un lourd tribut à la pandémie : selon le syndicat des travailleurs de l’enseignement public du Mato Grosso (Sintep/MT, centre du pays), la mortalité des enseignants a augmenté de 45 % entre le 12 et le 24 mars, avec d’un à deux enseignants décédés par jour dans cet État. Selon le Sintep : « le profil des victimes du covid a changé. Pendant la première vague, avant la diffusion du nouveau variant dit amazonien, la majorité des enseignants décédés étaient retraités. Depuis le début de l’année 2021, le nombre de décès chez les personnels de l’éducation en activité, particulièrement les 30-50 ans, a augmenté significativement. »
La CNTE évoque avec tristesse le cas de Talita Freitas, une enseignante décédée récemment du coronavirus et qui laisse trois jeunes enfants orphelins. Ses proches imputent son décès au autorités municipales qui ont maintenu contre vents et marrées des cours en présentiel dans cette ville du Minas Gerais, Brumadinho (déjà affectée par la rupture d’un barrage en janvier 2019). La municipalité avait en effet convoqué début février tous les enseignants et exigé leur retour en classe alors que la deuxième vague se profilait. Durant cette réunion, il fallut que les enseignants insistent pour que le représentant de la municipalité porte un masque… Depuis la rentrée en présentiel, ce sont plus de 35 enseignants de la zone qui ont développé des formes graves du coronavirus. Talita Freiras, elle, n’a pas survécu. La branche locale de la CNTE, le Sind-UTE/MG, a apporté tout son soutien à la famille de l’enseignante et alerté les autorités du danger du retour en présentiel dans la conjoncture de la flambée épidémique. Le syndicat a même exercé un recours judiciaire mais a été débouté. La représentante locale de la CNTE, Lilian Paraguai, déplore que « alors même que nous sommes dans le cadre de la perte de 300 000 vies au Minas Gerais depuis le début de la pandémie, les autorités provinciales aient autorisé le retour en cours et satisfait la demande de la municipalité».
Une vaccination encore bien insuffisante et l’absence de stratégie sanitaire
Le président Bolsanaro, après avoir nié la réalité de la pandémie, fanfaronné sur sa propre invincibilité, refusé tout confinement, a fini par admettre du bout des lèvres la dangerosité du virus mais continue de mener une gestion chaotique de la crise et remet systématiquement en cause les restrictions imposées par certains maires et gouverneurs d’États. La nature fédérale de l’État brésilien permet à chaque gouverneur, voire à chaque maire, de prendre les mesures qui lui conviennent. Beaucoup d’entre eux restent influencés par les lobbies de commerçants et d’industriels qui ne veulent aucune restriction à la liberté de commerce et de circulation. Valdeir Pereira, président de la branche locale de la CNTE au Mato Grosso affirme : « le gouverneur Mauro Mendes est totalement aligné sur la politique du gouvernement fédéral de Bolsonaro. Les agissements du gouvernement local du Mato Grosso n’en sont que la reproduction avec des responsables locaux négationnistes qui priorisent l’économie au détriment de la vie des gens. »
Aujourd’hui, devant la flambée de l’épidémie, Bolsonaro laisse aux États la responsabilité de la lutte contre la pandémie et n’envisage aucun confinement national. Pourtant, l’institut brésilien de santé publique Fiocruz a récemment estimé le confinement national « absolument nécessaire » face à la saturation des hôpitaux. La réponse du président ne se fit pas attendre : « il n’y aura pas de confinement national » a-t-il déclaré lors d’une visite à Chapeco, dans l’État de Santa Catarina (sud), qui est pourtant l’un des plus durement touchés par la deuxième vague. « Nous n’allons pas accepter une politique qui revient à dire que chacun doit rester chez soi ».
Si le pouvoir ne rejette plus à présent la vaccination, elle a débuté à un rythme très lent : 9,5 % de Brésiliens ont reçu une première dose et seulement 2,8 % bénéficient d’une couverture vaccinale complète avec une seconde dose. Des doses du vaccin Pfizer arrivent mais trop lentement, et le vaccin Janssen est attendu pour le second semestre. La CNTE demande que les enseignants soient prioritaires dans la campagne de vaccination. « Nous demandons la vaccination immédiate de tous les personnels de l’éducation. Et même si le ministre de l’éducation a indiqué que la vaccination commencerait en avril, nous n’avons aucune garantie que cela se fasse, tout simplement parce qu’il n’y a pas de vaccins en quantité suffisante. Nous avons besoin d’un calendrier de vaccination précis. Or, au rythme actuel de commande et d’acquisition des vaccins par les gouverneurs des États, il nous faudra des années pour que tous les personnels soient protégés. » alerte Valdeir Pereira.
Nos collègues brésiliens sont bien conscients que la fermeture des écoles a accentué les discriminations, dans un pays où beaucoup de familles ne disposent même pas d’un accès à l’électricité régulier et où seuls les enfants des classes aisées ont à disposition des outils informatiques. Mais ils ne veulent pas exposer enseignants et élèves par une reprise des cours trop brusque, en une période de flambée épidémique très violente.
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